sermons

Les textes du jour parlent de vision. Comment on se voit, comment on voit Dieu, comment on pense que Dieu nous voit. Nous avons en parallèle, la fin du récit du calvaire de Job et la guérison de Bartimée à Jéricho.

Jésus est aux portes de la ville avec une foule qui se fait et se défait partout où il va. Les gens veulent suivre ce guérisseur, ce faiseur de miracles qui porte tous les espoirs de la fin de l’occupation romaine. La foule et les disciples voient ce qu’ils veulent bien voir. Tout le monde veut suivre et être là pour voir Jésus apporter le changement.

Bartimée, un mendiant aveugle entend Jésus et la foule passer. Il connait Jésus de réputation, et donc il saisit sa chance. Il appelle Jésus pour avoir un miracle « Fils de David, Fils de David ! ». La foule s’indigne et rabroue l’aveugle. Un mendiant ne doit pas déranger le maître dans sa mission. La foule exerce alors une pression et une forme de contrôle. Mais Bartimée n’en tient pas compte, il appelle Jésus encore une fois. Cette fois-ci, Jésus répond et demande d’appeler l’aveugle. Puisque le maître s’intéresse à l’aveugle, la foule n’a pas le choix que de changer d’avis. A celui à qui elle demandait de se taire, voilà qu’elle l’encourage. Il y a un aveuglement dans la foule, qui suit Jésus sans comprendre quitte à se contredire l’instant d’après.

Alors il se passe ce qu’il se passe à chaque miracle. Jésus demande ce que l’aveugle veut, et l’aveugle dit sa volonté de voir et d’être guéri. Il jette son manteau, le peu qu’il possède, pour se lever et s’exposer à Jésus. Le contraste est saisissant. Il est seul et fait face à la foule. Voilà une foule qui suit Jésus pour être aux premières loges de ses miracles, qui ne demande pas de miracle pour elle-même et qui repousse une personne qui en demande un. Cette guérison à Jéricho nous montre combien l’on peut être fasciné par quelqu’un comme Jésus, mais sans jamais saisir l’opportunité de changement.

Dans mon ministère à Genève, je reçois des gens qui sont en chemin de reconstruction. Des gens qui ont dû quitter leur communauté, parce qu’elles ont fait leur coming-out. Elles ont vécu dans un cadre oppressif, qui prescrivait tout ce qu’elles devaient faire. Il est plus facile de suivre quelqu’un et des consignes que d’effectuer le travail d’aller chercher en soi qu’est-ce que l’on veut vraiment demander. C’est ainsi que très souvent, je dois résister aux demandes de ses personnes, de leur fournir toutes les réponses, de décider pour elles du chemin qu’elles doivent prendre. Elles vont devoir prendre le temps, pour nommer comme Bartimée lorsqu’elles seront prêtes ce dont elles ont réellement besoin.

Il est plus facile de quitter un groupe, pour rejoindre une foule de suiveurs de Jésus, que de se poser réellement la question, de ce que l’on souhaite et de ce dont on a réellement besoin. Il est difficile de se distinguer du groupe et d’exprimer son besoin personnel. C’est ce que fait cet aveugle, c’est ce qu’a fait Job aussi.

Job arrive donc à la fin de son calvaire, ou il a vécu une chute sociale brutale due à toutes les maladies et les pertes qu’il a subies. Lorsque l’on vit une catastrophe, même lorsque ce n’est objectivement pas de notre faute, un sentiment de culpabilité survient. Car il s’agit de lutter contre l’impuissance de la situation. Il est plus facile d’appréhender un malheur lorsqu’on y met du sens, même si ce sens est faux. Il est plus facile de penser qu’on a commis une faute et que la conséquence est le malheur que l’on vit, plutôt que d’accepter que ce sens nous échappe. Parce que dans ce cas, il nous faut intégrer le sentiment d’impuissance. Renoncer à l’illusion du contrôle que l’on a sur nos vies. Ce que Job a traversé, c’est la pression de ses amis et de la société de se sentir coupable de ce qui lui arrive. Plutôt que de subir l’isolement que la souffrance produit, plutôt que de subir la douleur dans un silence coupable, il a décidé de crier son indignation et sa souffrance à Dieu. Bien qu’il ne saisisse pas le pourquoi ni la raison pour laquelle il a été plongé dans ses épreuves, à chaque fois que Job a crié son sentiment, qu’il exprime ses émotions, le texte nous dit qu’il a bien parlé et qu’il n’a commis aucune faute. Job est donc cette figure, de la dignité fondamentale de l’être humain face à Dieu, qui permet de résister à toutes les pressions.

A Jéricho, Bartimée est prêt à demander un miracle. Il est prêt à exprimer ce dont il souhaite vraiment. Il jette son manteau, sa seule possession, car il a confiance qu’il verra à nouveau. Mais aussi, car il souhaite être vu, ne plus se cacher dans son indignité. Il n’écoute pas les remontrances de la foule qui dans un premier lui disent se taire et de rester a sa place de mendiant aveugle en silence. Jésus aussi résiste à la pression de la foule qui est contrôlante. Jésus répond toujours aux demandes sincères de miracles.

Job dans le texte du jour dit ce que Bartimée aurait pu dire :

« Je ne savais de toi que ce qu’on m’avait dit, mais maintenant, je t’ai vu de mes yeux ! »

Est-ce vraiment avec leurs yeux que Job et Bartimée ont vu ?
Ou est-ce avec leurs corps, leurs expériences et leurs cœurs transformés qu’ils peuvent « voir » ?

Il y a cette expression en anglais, autour de la vision, « I feel seen, he sees me ». Ce regard qui voit la dignité en profondeur. Comme disait le Petit Prince, « On ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. ».

La foule a vu avec ses yeux un nouveau prodige de Jésus. Confirmant encore plus son statut exceptionnel. Mais voit-elle avec le cœur, voit-elle que le miracle est celui de sortir de la position d’indignité pour oser dire et poser à Dieu les questions qui se forment au fond de nous ? Le vrai miracle, c’est la conversion de notre regard intérieur. Le vrai miracle, c’est de pouvoir accepter et intégrer que Dieu nous regarde avec plus d’amour, que nous-mêmes lorsque nous nous sentons indignes et inacceptables.

Amen

Erin Lederrey

PENTECOST XIII

Today’s texts are about the way we see. How we see ourselves, how we see God, how we think God sees us. We have the end of the story of Job’s ordeal and the healing of Bartimaeus in Jericho.

Jesus is at the gates of the city, with a crowd that comes and goes wherever he goes. People want to follow this healer, this miracle-worker who carries all the hopes of the end of the Roman occupation. The crowd and disciples see what they want to see. Everyone wants to follow and be there to see Jesus bring change.

Bartimaeus, a blind beggar, hears Jesus and the crowd pass by. He knows Jesus by reputation, so he seizes his chance. He calls out to Jesus for a miracle: “Son of David, Son of David!” The crowd is indignant and rebukes the blind man. A beggar must not disturb the master in his mission. The crowd exerted pressure and a form of control. But Bartimaeus ignores them and calls out to Jesus once more. This time, Jesus answers and asks him to call the blind man. Since the master is interested in the blind man, the crowd has no choice but to change their minds. The one they had been asking to keep quiet is now being encouraged. There is a blindness in the crowd, which follows Jesus without understanding, even if it means contradicting itself the next moment.

Then what happens with every miracle happens. Jesus asks what the blind man wants, and the blind man says he wants to see and be healed. He throws off his cloak, the little he owns, to stand up and expose himself to Jesus. The contrast is striking. He is alone, facing the crowd. This is a crowd that follows Jesus in order to have a front-row seat to his miracles, that doesn’t ask for a miracle for itself, but rejects someone who does. This healing in Jericho shows us how we can be fascinated by someone like Jesus, but never seize the opportunity for change.

In my ministry in Geneva, I receive people who are on the way to the reconstruction of their faith. People who have had to leave their community because they came out. They lived in an oppressive environment, which prescribed everything they had to do. It’s easier to follow someone’s instructions than to do the work of finding out what you really want to ask. So very often, I have to resist these people’s demands to provide them with all the answers, to decide for them which path they should take. They’ll have to take their time, to name, like Bartimaeus, what they really need when they’re ready.

It’s easier to leave a group, to join a crowd of Jesus followers, than to really ask yourself what you really want and need. It’s hard to stand out from the group and express your personal need. That’s what the blind man did, and that’s what Job did too.

So Job comes to the end of his ordeal, where he has experienced a brutal social downfall due to all the illnesses and losses he has suffered. When we experience a catastrophe, even when it’s objectively not our fault, a feeling of guilt arises. It’s all about fighting against the powerlessness of the situation. It’s easier to apprehend misfortune when we make sense of it, even if that sense is wrong. It’s easier to think that we’ve made a mistake and that the consequence is the unhappiness we’re experiencing, than to accept that this meaning eludes us. Because in this case, we have to accept the feeling of powerlessness. To give up the illusion of control over our lives. What Job went through was the pressure from his friends and society to feel guilty about what happened to him. Rather than suffer the isolation that suffering produces, rather than endure pain in guilty silence, he decided to cry out his indignation and suffering to God. Although he doesn’t understand why he has been plunged into his trials, every time Job cries out his feelings, every time he expresses his emotions, the text tells us that he has spoken well and that he has committed no fault. Job is thus a figure of the fundamental dignity of the human being before God, which enables him to resist all pressures.

In Jericho, Bartimaeus is ready to ask for a miracle. He is ready to express what he really wants. He throws away his cloak, his only possession, because he trusts that he will see again. But also because he wants to be seen, no longer hiding in his indignity. He doesn’t listen to the admonitions of the crowd, who at first tell him to keep quiet and remain in his place as a blind beggar. Jesus, too, resists the pressure of the controlling crowd. Jesus always responds to sincere requests for miracles.

Job in today’s text says what Bartimaeus might have said:

“I only knew of you what I had been told, but now I have seen you with my own eyes!”

Did Job and Bartimaeus really see with their eyes? Or is it with their transformed bodies, experiences and hearts that they can “see”? As the Little Prince said, “You can only see well with your heart. What is essential is invisible to the eye”.

The crowd saw with their own eyes another of Jesus’ prodigies. Confirming even more his exceptional status. But do they see with their hearts, do they see that the miracle is that of emerging from the position of unworthiness to dare to say and ask God the questions that are forming deep within us? The real miracle is the conversion of our inner vision. The real miracle is being able to accept and integrate the fact that God looks at us with more love than we look at ourselves when we feel unworthy and unacceptable.

Amen