Martyrs de la foi
Martyrs of the Faith

Vendredi Saint, 2024
Good Friday, 2024

Mark Ji Tianxiang (1834 – 1900)
L’histoire de l’opium en Chine est une histoire tragique d’impérialisme, d’exploitation et d’addiction. Lorsque la Chine s’est ouverte au commerce avec l’Occident, à l’apogée de l’essor impérialiste et colonial de l’Europe, ce qu’elle voulait en échange de sa soie, de son thé et de sa porcelaine c’était de l’argent. L’Europe et l’Amérique ont voulu trouver un autre produit, moins cher, avec lequel commercer, et ont eu l’idée d’utiliser l’Inde (dans le cas du Royaume-Uni) et la Turquie (dans le cas des États-Unis) pour produire de l’opium destiné au commerce avec la Chine. L’opium pénétrait principalement en Chine par sa frontière méridionale qui était poreuse. Les autorités de Pékin étaient techniquement incapables de l’arrêter, ce qui a conduit aux tristement célèbres Guerres de l’opium du milieu du XIXe siècle. Gladstone, premier ministre britannique, lui-même a déclaré : “Je redoute les jugements de Dieu sur l’Angleterre pour notre iniquité nationale envers la Chine – une guerre plus injuste dans son origine, une guerre plus calculée dans sa progression pour couvrir ce pays d’un déshonneur permanent”. Son hostilité à l’égard de l’opium était si féroce en raison des effets de cette drogue sur sa sœur Helen. Au moment où le commerce de l’opium avec la Chine a été interdit, son usage était largement répandu en Chine, et la culture de l’opium en Chine même était bien établie.
Le christianisme est présent en Chine depuis longtemps, probablement introduit pour la première fois par des missionnaires nestoriens venus de Syrie et d’Irak. Les Franciscains sont arrivés en Chine en 1289, mais peu après, la dynastie Ming a pris la décision politique de supprimer les influences étrangères dans le pays. Les Jésuites ont été les prochains missionnaires à arriver deux cents ans plus tard, à la fin des années 1500. Au cours des siècles, les relations entre le christianisme et les religions traditionnelles de Chine sont restées conflictuelles, plusieurs empereurs interdisant le culte chrétien et le pape déclarant que certaines pratiques traditionnelles chinoises (principalement les offrandes aux ancêtres) étaient incompatibles avec le christianisme.
Sous la dynastie mandchoue (1644 – 1911), l’ouverture de la Chine au commerce a amené de nombreux missionnaires chrétiens en Chine, notamment des orthodoxes russes et des protestants. Robert Morrison (1782 – 1834), de la London Missionary Society, était l’un des principaux missionnaires. Il a produit une traduction chinoise de la Bible et un dictionnaire à l’usage des Occidentaux qui tentaient d’apprendre la langue. Leurs efforts missionnaires ont incité le septième empereur de la dynastie Qing à interdire la propagation du christianisme parmi les Chinois Han et les Mandchous. Si les chrétiens ne se repentaient pas de leur conversion, ils devaient être envoyés dans les villes musulmanes de l’ouest de la Chine et vendus comme esclaves. Après la première guerre de l’opium en 1842, les missionnaires chrétiens ont pu à nouveau opérer sous la protection des puissances occidentales. Ils ont joué un rôle majeur dans l’occidentalisation de la Chine au milieu et à la fin du XIXe siècle. Ils ont fondé des cliniques, des hôpitaux et des établissements d’enseignement, et ont fait campagne contre le bandage des pieds et le traitement injuste des domestiques. Ils se sont également opposés au commerce de l’opium et ont soigné les personnes souffrant d’addiction.
Mark Ji Tianxiang est né en 1834 dans la province septentrionale de Hebei, en Chine. Pendant des années, Ji a été un chrétien respectable, élevé dans une famille chrétienne catholique romaine dans la Chine du XIXe siècle. Il était un leader de la communauté chrétienne. C’était un médecin instruit et aisé qui servait les pauvres gratuitement. Mais il est tombé malade, souffrant d’une violente affection de l’estomac, et s’est soigné à l’opium. C’était quelque chose de tout à fait courant, et l’un des seuls médicaments accessibles à l’époque. Malheureusement, Ji devint rapidement dépendant de cette drogue, une dépendance qui était considérée comme honteuse et gravement scandaleuse.
Alors que sa situation se détériorait, Ji a continué à lutter contre sa dépendance. Il se confesse fréquemment, refusant d’accepter l’affliction qui a pris le contrôle de sa vie. Malheureusement, le prêtre auquel il s’est confessé (comme presque tout le monde au XIXe siècle) était incapable de comprendre la dépendance comme une maladie. Ji revenait sans cesse devant le prêtre pour confesser le même péché. La nature répétée et habituelle de la dépendance (considérée comme un péché par le prêtre) a été interprétée comme la preuve que Ji n’avait pas de “ferme intention de s’amender” – une condition requise par le prêtre pour qu’il puisse offrir son pardon. Le prêtre pensait que Ji n’avait aucun désir de s’améliorer.
Dans l’Église catholique romaine, la confession n’est pas valable si l’on n’est pas résolu à se repentir et à ne plus pécher. Après quelques années, le confesseur de Ji lui a dit de ne plus revenir jusqu’à ce qu’il puisse remplir les conditions requises pour se confesser. Pour certains, cela aurait pu être une invitation à quitter l’Église par colère ou peut-être par honte, mais Ji n’a pas abandonné. Il savait que Dieu l’aimait et que certains membres de l’Église se souciaient de lui. Il ne pouvait pas se tenir à l’écart de la drogue, mais il pouvait au moins “continuer à se montrer”. Et c’est ce qu’il a fait, pendant 30 ans. Pendant 30 ans, il n’a pas pu recevoir les sacrements. Ji commença à penser que le seul moyen d’être sauvé était d’obtenir une couronne de martyr, et pendant trente ans, il pria pour mourir en martyr. En 1900, la rébellion des Boxers a commencé à se retourner contre les étrangers et les chrétiens. Les nationalistes chinois connus sous le nom de “Boxers”, ou “Milice unie dans la justice”, ont expulsé les missionnaires et persécuté les chrétiens dans toute la Chine. Trente-deux mille chrétiens chinois et 200 missionnaires étrangers ont été tués. Ji a eu sa chance. Il a été arrêté avec des dizaines d’autres chrétiens, dont son fils, ses six petits-enfants et ses deux belles-filles. Beaucoup de ceux qui étaient emprisonnés avec lui étaient probablement dégoûtés par sa présence parmi eux, cet homme que tout le monde connaissait et qui ne pouvait pas passer un jour sans se shooter. Il serait certainement le premier à renier le Seigneur.
Mais si Ji n’a jamais pu vaincre sa dépendance, il a, en fin de compte, reçu la grâce de persévérer jusqu’au bout. Aucune menace n’a pu l’ébranler, aucune torture ne l’a fait vaciller. Alors que Ji et sa famille étaient traînés en prison en attendant leur exécution, son petit-fils lui a demandé : “Grand-père, où allons-nous ? “Nous rentrons à la maison”, lui a-t-il répondu.
Ji a supplié ses ravisseurs de le tuer en dernier afin qu’aucun membre de sa famille n’ait à mourir seul. Il s’est tenu aux côtés de ses neuf compagnons lorsqu’ils ont été décapités. À la fin, il est allé à la mort en chantant les litanies de la Vierge Marie. Bien qu’il ait été exclu des sacrements pendant des décennies, il est aujourd’hui un saint catholique romain canonisé. Il a été canonisé par le pape Jean-Paul II en 2000, en même temps que de nombreux autres martyrs chrétiens chinois de l’époque de la rébellion des Boxers et il est fêté le 9 juillet. À l’époque, sa béatification était encore considérée comme un peu scandaleuse. Les partisans de sa béatification insistaient sur le fait qu’il méritait cet honneur pour son seul martyre. Ils ont également essayé de faire comprendre que les personnes qui luttent contre la dépendance n’ont pas la même liberté “morale” d’éviter les comportements addictifs, et que leurs actions ne peuvent donc pas être jugées de la même manière que les actions d’une personne non dépendante. Aujourd’hui, compte tenu de la crise des opioïdes qui sévit actuellement aux États-Unis, sa vie et son exemple peut encore nous inspirer.

Mark Ji Tianxiang (1834 – 1900)
The history of opium in China is a tragic story of imperialism, exploitation and tragic addiction. When China opened up to further trade with the West at the height of Europe’s imperialist and colonial power, the thing that they wanted in return for their silk, tea and porcelain was silver. Europe and America wanted to find another, and cheaper product with which to trade, and hit on the idea of using India (in the case of the UK) and Turkey (in the case of the USA) to produce opium for trade with China. It mostly entered China through its porous southern border. The authorities in Beijing were almost powerless to stop it; leading to the infamous Opium Wars of the mid eighteen hundreds. Even Gladstone, prime minister of the UK said “I am in dread of the judgments of God upon England for our national iniquity towards China – a war more unjust in its origin, a war more calculated in its progress to cover this country with permanent disgrace.” His hostility to opium was so fierce because of the effects of the drug on his sister Helen. By the time the opium trade with China was outlawed, its use within China was widespread, and cultivation of opium in China itself was well established.
Christianity had been around in China for a long time – probably first introduced by Nestorian missionaries from Syria and Iraq. The Franciscans arrived in China in 1289, but soon after, the Ming dynasty made a policy decision to suppress foreign influences in the country. The Jesuits were the next missionaries to arrive two hundred years later, in the late 1500’s. Throughout the centuries, the relationship between Christianity and the traditional religions of China continued to be fractious, with several emperors forbidding Christian worship, and the Pope declaring that some traditional Chinese practices (mostly offerings made to ancestors) were incompatible with Christianity.
During the Manchu dynasty (1644 – 1911) China’s openness to trade brought many Christian missionaries to China – including the Russian Orthodox and the Protestant denominations. Robert Morrison (1782 – 1834) of the London Missionary Society was one of the chief of these – he produced a Chinese translation of the Bible and a dictionary for the use of westerners trying to learn the language. Their missionary efforts provoked the seventh emperor of the Qing dynasty to outlaw the spread of Christianity amongst the Han Chinese and the Manchus. If Christians didn’t repent of their conversion, they were to be sent to Muslim cities in western China and sold as slaves. After the first Opium War in 1842, Christian missionaries could once again operate under the protection of the Western powers. They played a major role in the westernization of China in the middle and late eighteen hundreds. They established clinics and hospitals and educational institutions, and campaigned against foot-binding and the unjust treatment of servants. They also opposed the opium trade and treated those who were addicted.
Mark Ji Tianxiang was born in 1834 in the northern province of Hebei, China. For years, Ji was a respectable Christian, raised in a Roman Catholic Christian family in nineteenth century China. He was a leader in the Christian community. He was a well-educated and well-off doctor who served the poor for free. But he became ill with a violent stomach ailment and treated himself with opium. It was a perfectly reasonable thing to do, and probably one of the only helpful drugs out there at the time. Unfortunately Ji soon became addicted to the drug, an addiction that was considered shameful and gravely scandalous.
As his circumstances deteriorated, Ji continued to fight his addiction. He went frequently to confession, refusing to accept the affliction that had taken control of him. Unfortunately, the priest to whom he confessed (along with nearly everybody in the 19th century) were incapable of understanding addiction as a disease. Ji kept coming back to the priest to confess the same sin. The repeated and habitual nature of the addiction (understood as sin by the priest) was interpreted as evidence that Ji had no ‘firm purpose of amendment’ – a condition required by the priest so that he can offer forgiveness. The priest believed that Ji had no desire to do better.
In the Roman Catholic Church, without resolve to repent and sin no more, confession is invalid. After a few years, Ji’s confessor told him to stop coming back until he could fulfill the requirements for confession. For some, this might have been an invitation to leave the Church in anger or perhaps in shame, but Ji would not give up. He knew that God loved him, and he knew that there were those in the church who cared for him. He couldn’t stay off the drug, but he could at least ‘keep showing up’.
And show up he did, for 30 years. For 30 years, he was unable to receive the sacraments. It began to seem to Ji that the only way that he could be saved was by obtaining a martyrs crown, so for thirty years he prayed that he would die a martyr. In 1900, the Boxer Rebellion began to turn against foreigners and Christians. Chinese nationalists known as the Boxers, or the Militia United in Righteousness, expelled missionaries and persecuted Christians across China. Thirty-two thousand Chinese Christians and 200 foreign missionaries were killed., Ji got his chance. He was rounded up with dozens of other Christians, including his son, six grandchilden, and two daughters-in-law. Many of those imprisoned with him were likely disgusted by his presence there among them, this notorious man who couldn’t go a day without a hit. Surely he would be the first to deny the Lord.
But while Ji was never able to beat his addiction, he was, in the end, given the grace of final perseverance. No threat could shake him, and no torture make him waver. As Ji and his family were dragged to prison to await their execution, his grandson asked him. “Grandpa, where are we going?” he asked. “We’re going home,” he replied.
Ji begged his captors to kill him last so that none of his family would have to die alone. He stood beside all nine of them as they were beheaded. In the end, he went to his death singing the Litany of the Blessed Virgin Mary. And though he had been turned away from the sacraments for decades, he is now a canonized Roman Catholic saint. He was canonized by Pope John Paul II in 2000, together with many other Chinese Christian martyrs from the time of the Boxer Rebellion. His feast day is July 9th. At the time, it was still considered a little scandalous. The advocates for his beatification insisted that he was worthy of the honor for his martyrdom alone. They also tried to make people understand that people who struggle with addiction don’t have the same kind of ‘moral’ freedom to avoid addictive behavior, and so their actions can’t be judged in the same way as we would judge the actions of a non-addicted person. Given the current opioid crisis in the United States, perhaps he is a useful person to meditate on.

Saintes Perpétue et Félicité (II siècle)
« Restez fermes dans la foi, aimez-vous les uns les autres, et ne vous offensez pas à cause de notre passion. »
Il existe peu de documents plus poignants sur l’Église primitive que La passion des saintes Perpétue et Félicité. En effet, l’histoire de ces deux martyres était si populaire dans l’Église nord-africaine que saint Augustin s’est même plaint qu’elle était plus lue que les Évangiles. Perpétue était une jeune femme prospère, mariée et mère d’un nouveau-né, qui vivait à Carthage à la fin du deuxième siècle. À l’âge de vingt-deux ans, elle fut arrêtée avec sa servante Félicité et plusieurs compagnons masculins, apparemment pour avoir enfreint l’interdiction de se convertir au christianisme.
Ce qui rend ce récit si frappant c’est qu’il prétend représenter la voix de Perpétue elle-même, alors qu’elle croupissait en prison sous le coup d’une condamnation à mort. Il s’agit donc d’un document personnel unique, rempli de détails douloureusement intimes et étonnamment dépourvu des conventions stéréotypées de l’hagiographie ultérieure. Perpétue n’apparaît pas simplement comme un « type », mais comme une personne à part entière, sujette à la faim, aux peurs et même – en tant que mère allaitante séparée de son enfant – sujette aux douleurs d’avoir les seins gonflés.
Ce dernier détail met en évidence ce qui rend ce récit unique. Il ne s’agit pas de la voix désincarnée d’un chrétien ordinaire, mais d’une chrétienne. Le lecteur moderne peut difficilement ignorer le rôle que joue son genre tout au long du récit. Alors que l’intrigue générale se concentre sur la passion imminente de Perpétue, elle est appelée tout au long du récit à négocier une série de difficultés découlant de son statut de femme – fille, mère et épouse (bien qu’il soit intéressant de noter que son mari n’est jamais mentionné). Tout au long du récit, nous percevons la lutte d’une femme pour revendiquer sa propre identité et sa vocation au milieu des diverses revendications concurrentes imposées par la société. Même lors de son procès, lorsque le proconsul fait appel à son sens du devoir envers son père âgé et son fils en bas âge, Perpétue répond au tribunal par une simple déclaration : « Je suis chrétienne ». On sent qu’elle a trouvé dans le Christ le pouvoir et la liberté de d’être elle-même et le courage d’en accepter les conséquences.
Pourtant, rien n’indique que Perpétue méprise la maternité ou les liens familiaux. Le récit décrit avec des détails touchants les souffrances causées par la séparation d’avec son enfant. Mais lorsqu’il lui est rendu et qu’elle peut l’allaiter, « aussitôt je me suis rétablie, et j’ai été soulagée de mon travail et de mes soins pour l’enfant ; et soudain la prison est devenue pour moi un palais, de sorte que je préférais être là que n’importe où ailleurs ». Ce qui tourment le plus Perpétue ce sont les supplications de son père âgé, qui la menace brutalement et use de toutes ces larmes pour tenter de la dissuader de s’engager dans la voie qu’elle s’est tracée. Perpétue le regarde avec une compassion sincère pour sa « vieillesse malheureuse », mais aussi avec tristesse à l’idée qu’en tant que non-chrétien, il ne peut se réjouir de la perspective de sa passion.
Perpétue elle-même ne se réjouit pas de la perspective de la mort. Mais dans une série de visions prophétiques qu’elle reçoit, elle trouve la conviction que son destin est ordonné et que ses brèves souffrances déboucheront sur une récompense éternelle. Elle est finalement consolée de pouvoir confier son fils à des personnes de confiances et reçoit ainsi la grâce de supporter tout ce qui peut arriver. Elle n’est pas découragée lorsque, lors de leur procès, elle et ses compagnons reçoivent la sentence la plus terrifiante : combattre des bêtes sauvages dans l’amphithéâtre. En effet, dans un autre rêve, elle perçoit qu’elle se battra « non pas contre des bêtes, mais contre le diable, et je savais », dit-elle, « que la victoire m’appartenait ».
Son récit se termine sur une note obsédante – les mots mêmes d’une prisonnière à la veille de sa mort : “J’ai écrit ceci jusqu’à la veille des jeux, mais pour ce qui se passera pendant les jeux eux-mêmes l’écrira qui voudra.”
Des témoins oculaires ont complété son récit. C’est ainsi que nous apprenons également quelque chose sur sa compagne et servante Félicité. Enceinte de huit mois au moment de son emprisonnement, Félicité craignait de ne pas partager le sort de ses compagnes en raison de son état. Mais après une nuit de prière ardente, elle accoucha d’une fille qu’elle put confier à des amis chrétiens.
Le dernier jour de leur vie, les prisonniers ont célébré des agapes, à laquelle ont assisté de nombreux chrétiens des environs. Le lendemain matin, « jour de leur victoire », les prisonniers sortent de l’obscurité de leur prison pour entrer dans l’amphithéâtre lumineux, « comme vers le ciel, joyeux et le visage rayonnant ». Perpétue avait l’air d’une « véritable épouse du Christ », tandis que Félicité, se réjouissant que son enfant soit né en sécurité, « passait maintenant du sang au sang, de la sage-femme au gladiateur, pour se laver après son travail dans un second baptême ».
Une fois de plus, Perpétue fut poussée à abjurer sa foi. Mais elle refusa. Nous entendons sa voix une dernière fois, avec une conviction qui résonne à travers les âges : « C’est pour cette raison que nous sommes venus volontairement jusqu’ici, afin que notre liberté ne soit pas obscurcie. C’est pour cette cause que nous avons consacré nos vies ».
Perpétue et Félicité sont placées ensemble dans l’arène. Elles sont d’abord déshabillées, ce qui fait frémir la foule, « l’une d’elle étant une tendre jeune fille, l’autre ayant encore les seins tombants de ses dernières couches ». Dans une ultime concession ironique à leur féminité, elles sont autorisées à se couvrir. Elles furent alors exposées à une vache sauvage qui les jeta sur ses cornes. Lorsqu’elles eurent survécu à cette épreuve, le bourreau reçut l’ordre de les passer au fil de l’épée. Mais celui-ci était apparemment un novice et avait du mal à porter un vrai coup. Le narrateur raconte que Perpétue, dans un ultime geste de maîtrise de son destin, dirigea l’épée vers son propre cou : « Peut-être qu’une si grande femme n’aurait pas pu être tuée si elle ne l’avait pas elle-même voulu ». Le narrateur note enfin qu’avant de rencontrer l’épée, les deux jeunes femmes, autrefois maîtresse et servante, maintenant sœurs dans le Christ, se sont tournées l’une vers l’autre devant la foule qui les raillait et ont échangé un baiser.
Sts. Perpetua and Felicity (2nd century)
“Stand fast in the faith, and love ye one another; and be not offended because of our passion.”
There are few more poignant documents of the early church than “The Passion of Sts. Perpetua and Felicity.” Indeed, the story of these two early martyrs was so popular in the North African church that St. Augustine complained that it was more widely read than the Gospels. Perpetua was a prosperous young woman, married and the mother of a newborn son, who lived in Carthage in the late second century. At the age of twenty-two she was arrested with her servant Felicity and several male companions, apparently for violating a prohibition against conversion to Christianity.
Part of the striking power of this narrative derives from the fact that it purports to represent the voice of Perpetua herself, as she languished in prison under sentence of death. It is thus a uniquely personal document, filled with painfully intimate details and strikingly free of the stereotypical conventions of later hagiography. Perpetua emerges not simply as a “type,” but as a fully realized person, subject to hunger, fears, and even — as a nursing mother, separated from her child — the pain of swollen breasts.
The last detail points to the other obvious distinction of the narrative. This is not the disembodied voice of a generic Christian – but a Christian woman. The modern reader can hardly ignore the pervasive significance of gender throughout the narrative. While the overall “plot” focuses on Perpetua’s approaching passion, she is called throughout to negotiate a series of complications arising from her status as a woman – daughter, mother, and spouse (though interestingly her husband is never mentioned). Throughout we sense the struggle of a woman to claim her own identity and vocation amid the various competing claims imposed by society. Even at her trial the proconsul appeals to her sense of duty toward her aged father and her infant son. Perpetua answers the court with the simple declaration, “I am a Christian.” One senses that in Christ she has found the power and freedom to name herself and the courage to accept the consequences.
And yet there is no suggestion that Perpetua scorns motherhood or the bonds of family. The narrative describes in touching detail the sufferings caused by the separation from her infant. But when he is restored to her and she is able to nurse him, “straightway I became well, and was lightened of my labor and care for the child; and suddenly the prison was made a palace for me, so that I would sooner be there than anywhere else.” The main torture for Perpetua comes from the pleading of her aged father, who resorts to bullying threats as well as abject tears in an effort to dissuade her from her path. Perpetua looks upon him with genuine pity for his “unhappy old age,” but also with sadness at the thought that he, as a non-Christian, cannot rejoice in the prospect of her passion.
Perpetua herself does not relish the prospect of death. But in a series of prophetic visions she finds the conviction that her fate is ordained and that her brief suffering will lead to eternal reward. She is consoled finally to be able to entrust her son to safe hands, and so receives the grace to bear whatever may come. She is undeterred when, at their trial, she and her companions receive the most terrifying sentence — to fight with wild beasts in the amphitheater. For in another dream she perceives that she will be fighting “not with beasts, but against the devil; and I knew that mine was the victory.”
Her portion of the narrative ends on a haunting note — the actual words of a prisoner on the eve of her death: “Thus far have I written this, till the day before the games; but the deed of the games themselves let him write who will.”
Eyewitnesses did complete her narrative. And so we also learn something about her companion and servant Felicity. Eight months pregnant at the time of her imprisonment, Felicity was fearful that because of her condition she would be separated from the fate of her companions. But after a night of ardent prayer, she went into labor and gave birth to a daughter, whom she was able to entrust to Christian friends.
On their last day of life the prisoners celebrated a “Love Feast,” attended by many local Christians. The next morning, “the day of their victory,” the prisoners went forth from the darkness of their prison into the glaring amphitheater, “as it were to heaven, cheerful and bright of countenance.” Perpetua wore the expression of a “true spouse of Christ,” while Felicity, rejoicing that her child was born in safety, “came now from blood to blood, from the midwife to the gladiator, to wash after her travail in a second baptism.” Once more Perpetua was urged to abjure her faith. But she refused. We hear her voice a final time – now with a conviction that resounds through the ages: “For this cause came we willingly unto this, that our liberty might not be obscured. For this cause have we devoted our lives.”
Perpetua and Felicity were set in the arena together. At first, they were stripped, causing the crowd to shudder “seeing one a tender girl, the other her breasts yet dropping from her late childbearing.” And so in a final ironic concession to their womanhood they were permitted to cover themselves. They were then exposed to a savage cow, which tossed them about on its horns. When they had survived this ordeal the executioner was ordered to put them to the sword. But the swordsman was apparently a novice and had trouble striking a true blow. The nar-alor relates that Perpetua, in the final mark of mastery over her fate, directed the sword to her own neck: “Perhaps so great a woman could not else have been slain had she not herself so willed it.” A final poignant image remains The narrator notes that before meeting the sword the two young women, formerly mistress and servant, now sisters in Christ, turned to one another before the jeering crowd and exchanged a kiss.

Dietrich Bonhoeffer (1906 – 1945)
« La tâche de l’Église n’est pas seulement de soigner les blessures de la victime écrasée sous la roue, mais aussi de mettre un bâton dans la roue elle-même. »
Dietrich Bonhoeffer a passé le mois de juin 1939 à New York dans un état d’âme anxieux. “Je ne sais pas pourquoi je suis ici”, écrit-il. Il était là parce que ses amis américains, désireux de protéger le jeune théologien luthérien des griffes de la Gestapo, avaient pris des dispositions pour qu’il soit professeur invité à l’Union Theological Seminary. En tant que figure de proue de l’Église confessante, Bonhoeffer était un ennemi déclaré des nazis. La fuite à New York lui a certainement sauvé la vie. Mais Bonhoeffer ne se contente pas de rester en sécurité. Après seulement quelques semaines à New York, il déçoit et inquiète ses amis en annonçant sa décision de retourner en Allemagne. Comme il l’écrit, “je n’aurai pas le droit de participer à la reconstruction de la vie chrétienne en Allemagne après la guerre si je ne partage pas les tribulations de ce temps avec mon peuple”. Mais s’il ne voulait pas accepter le luxe de la sécurité, Bonhoeffer ne courait pas délibérément après le martyre. En fait, de nombreux collègues ont été stupéfaits lorsque, à son retour en Allemagne, il a utilisé ses relations familiales pour obtenir un poste au sein de l’Abwehr, le service de renseignement militaire allemand. Son beau-frère, Hans Dohnanyi, était un membre haut placé de l’Abwehr. Il était également, comme Bonhoeffer le savait, une figure clé de la conspiration militaire clandestine visant à renverser Hitler. Bonhoeffer a été immédiatement intégré à cette conspiration.
En 1943, alors que le complot commence à se dévoiler, Bonhoeffer et Dohnanyi sont tous deux arrêtés. Même à ce moment-là, l’étendue de leurs activités – qui comprenaient des projets d’assassinat d’Hitler – n’a pas été détectée. Dans l’attente d’un complément d’enquête, Bonhoeffer est incarcéré dans une prison militaire à Tegel, où il reste dix-huit mois. Malgré des conditions de vie spartiates, il ne subit pas la cruauté d’un camp de concentration et peut recevoir des livres et envoyer clandestinement des lettres non censurées.
En juillet 1944, après l’échec du complot d’assassinat, une enquête approfondie de la Gestapo a révélé toute l’étendue de la trahison de l’Abwehr. Dès lors, le sort des conspirateurs est scellé. La piste de Bonhoeffer mène au quartier général de la Gestapo à Berlin, puis à Buchenwald et enfin au camp de prisonniers de Flossenburg. Le 9 avril, il y dirige un service de prière pour ses compagnons d’infortune, à la suite duquel il reçoit une convocation : “Prisonnier Bonhoeffer, préparez-vous et venez avec nous”. Il s’empresse de confier un dernier message à un codétenu : “C’est la fin, pour moi le début de la vie….” Le lendemain, il est pendu avec cinq autres résistants.
Bonhoeffer avait trente-neuf ans au moment de sa mort ; ses écrits de prison n’ont laissé au monde qu’une esquisse de l’orientation de sa théologie. Néanmoins, l’impact de sa courte vie et de ses écrits épars a laissé une marque indélébile sur l’Église d’après-guerre. Il est le rare théologien dont la biographie est étudiée avec autant d’attention que ses écrits pour y trouver des indices sur le défi de la foi à notre époque.
L’impact de Bonhoeffer s’est fait sentir à au moins trois niveaux. Premièrement, son témoignage a inspiré d’autres chrétiens confrontés aux dilemmes éthiques d’une action responsable face à l’oppression. Pendant la majeure partie de sa carrière, Bonhoeffer a adopté une position pacifiste et n’a jamais cessé de croire que la violence était incompatible avec les idéaux de l’Évangile. En fin de compte, cependant, il pensait que la crise de l’époque était si grave qu’elle exigeait que certains chrétiens compromettent volontairement leur pureté de conscience pour le bien d’autrui. “La question ultime qu’un homme responsable doit se poser n’est pas de savoir comment il va se sortir héroïquement de l’affaire, mais comment la génération à venir va vivre”.
En tant que théologien, la réputation de Bonhoeffer repose en grande partie sur la vision forgée dans l’enfermement de ses dernières années et révélée dans des lettres envoyées clandestinement à son ami Eberhard Bethge. Il y souligne la nécessité d’un nouveau “christianisme sans religion”, d’une manière de parler de Dieu dans un langage séculier adapté à un “monde arrivé à maturité”. Le langage religieux traditionnel tendait à postuler une divinité provisoire occupant un domaine “religieux” aux limites de la vie quotidienne. Au contraire, Bonhoeffer a écrit : “Je voudrais parler de Dieu non pas aux frontières mais au centre, non pas dans les faiblesses mais dans la force, et donc non pas dans la mort et la culpabilité mais dans la vie et la bonté de l’homme. Dieu est au-delà au milieu de notre vie. L’Église se tient, non pas aux frontières où les forces humaines s’épuisent, mais au milieu du village.
Dans les décennies d’après-guerre, ces écrits ont contribué à inspirer un large éventail de chrétiens cherchant à surmonter le fossé entre les Églises et le monde séculier. Plus récemment, des théologiens du tiers monde ont mis en lumière une vision plus radicale des écrits de Bonhoeffer : “Pour une fois, nous avons appris à voir les grands événements de l’histoire mondiale d’en bas, du point de vue des exclus, des suspects, des maltraités, des impuissants, des opprimés, des injuriés, bref, du point de vue de ceux qui souffrent. Et c’est peut-être sous cet angle, dans lequel il en est venu à voir l’identité entre la croix de Jésus et la solidarité avec les opprimés, que Bonhoeffer offre un modèle si poignant de sainteté contemporaine. Après la guerre, certains chrétiens allemands hésitaient à le qualifier de martyr, car il avait été exécuté pour des motifs politiques plutôt que “religieux”.
Cette attitude, qui mettrait la “vie sainte” à l’écart du monde et de ses exigences concrètes, illustre la mentalité religieuse que Bonhoeffer rejette. Pour lui, suivre le Christ, c’est s’engager dans ce monde, “vivre sans réserve les devoirs, les problèmes, les succès et les échecs, les expériences et les perplexités de la vie. Ce faisant, nous nous jetons complètement dans les bras de Dieu, prenant au sérieux non pas nos propres souffrances, mais celles de Dieu dans le monde – regardant avec le Christ à Gethsémani. Je pense que c’est cela la foi, c’est cela la métanoïa”.

Dietrich Bonhoeffer (1906 – 1945)
“[The church’s] task is not simply to bind the wounds of the victim beneath the wheel, but also to put a spoke in the wheel itself.”
Dietrich Bonhoeffer spent the month of June 1939 in New York City in a state of anxious soul-searching. “I do not know why I am here,” he wrote. He was there because his American friends, eager to protect the young Lutheran theologian from the clutches of the Gestapo, had arranged for him to serve as a visiting professor at Union Theological Seminary. As a leading figure in the Confessing Church, Bonhoeffer was an avowed enemy of the Nazis. Certainly the escape to New York had saved his life. But Bonhoeffer was not content to remain in safety. After only a few weeks in New York he disappointed and alarmed his friends by announcing his decision to return to Germany. As he wrote, “I will have no right to participate in the reconstruction of Christian life in Germany after the war if I do not share the tribulations of this time with my people.” But though he was unwilling to accept the luxury of security, Bonhoeffer did not deliberately court martyrdom. In fact, many colleagues were astounded when, upon his return to Germany, he used family connections to obtain a position in the Abwehr — German Military Intelligence. His brother-in-law, Hans Dohnanyi, was a high-ranking member of the Abwehr. He was also, as Bonhoeffer knew, a key figure in the clandestine military conspiracy to overthrow Hitler. Bonhoeffer was immediately inducted into this conspiracy.
In 1943 as the plot began to unravel Bonhoeffer and Dohnanyi were both arrested. Even then, the extent of their activities – which included plans to assassinate Hitler — remained undetected. Pending further investigation, Bonhoeffer was remanded to a military prison in Tegel, where he was held for eighteen months. Despite spartan conditions, he was nevertheless spared the cruelty of a concentration camp and was able to receive books and smuggle out uncensored letters.
In July 1944, after the assassination plot ended in failure, an intensified investigation by the Gestapo uncovered the full extent of the Abwehr treachery. From then on the fate of the conspirators was sealed. Bonhoeffer’s trail led to Gestapo headquarters in Berlin, then to Buchenwald, and finally to Flossenburg prison camp. There on April, 9 he conducted a prayer service for his fellow prisoners, following which he received the summons: “Prisoner Bonhoeffer, get ready and come with us.” To a fellow prisoner he hastily entrusted a final message: “This is the end, for me the beginning of life….” The next day he was hanged with five other members of the resistance group.
Bonhoeffer was thirty-nine at the time of his death; the world was left, through his prison writings, only a sketchy outline of the direction of his theology. Nevertheless, the impact of his short life and his scattered writings has left an indelible mark on the postwar church. He is the rare theologian whose biography is studied as carefully as his written work for clues about the challenge of faith in our time.
Bonhoeffer’s impact has been felt on at least three levels. First, his witness has inspired other Christians wrestling with the ethical dilemmas of responsible action in the face of oppression. Through most of his career Bonhoeffer had espoused a pacifist position, and he never ceased to believe that violence was inconsistent with the ideals of the gospel. In the end, however, he believed that the crisis of the times was so grave as to require that certain Christians willingly compromise their purity of conscience for the sake of others. “The ultimate question for a responsible man to ask is not how he is to extricate himself heroically from the affair, but how the coming generation is to live.”
As a theologian, Bonhoeffer’s reputation rests largely on the vision forged in the confinement of his last years and disclosed in letters smuggled to his friend, Eberhard Bethge. Here he outlined the need for a new “religionless Christianity,” a way of talking about God in a secular language appropriate for a “world come of age.” Traditional religious language tended to posit a stop-gap deity occupying a “religious” realm on the boundaries of day-to-day life. Instead, Bonhoeffer wrote, “I should like to speak of God not on the boundaries but at the center, not in weaknesses but in strength, and therefore not in death and guilt but in man’s life and goodness. God is beyond in the midst of our life. The church stands, not at the boundaries where human powers give out, but in the midst of the village.”
In the postwar decades these writings helped inspire a broad range of Christians seeking to overcome the gulf between the churches and the secular world. More recently Third World theologians have highlighted a more radical insight in Bonhoeffer’s writings: “We have for once learnt to see the great events of world history from below, from the perspective of the outcast, the suspects, the maltreated, the powerless, the oppressed, the reviled — in short, from the perspective of those who suffer.” And it is perhaps in this light, in which he came to see the identity between the cross of Jesus and solidarity with the oppressed, that Bonhoeffer offers such a poignant model of contemporary holiness. After the war some German Christians were reluctant to call him a martyr, since he had been executed for political rather than “religious” charges.
This attitude, which would set the “holy life” apart from the world and its concrete demands, exemplified the religious mentality that Bonhoeffer rejected. For him, following Christ was a matter of engagement in this world, “living unreservedly in life’s duties, problems, successes and failures, experiences and perplexities. In so doing we throw ourselves completely into the arms of God, taking seriously not our own sufferings, but those of God in the world – watching with Christ in Gethsemane. That, I think is faith; that is metanoia.”

Alicia Domon (1937-1977)
« Je ne suis pas venu ici [dans le bidonville] pour dire aux gens ce qu’ils devaient faire, mais pour que nous puissions nous entraider et partager les joies et les peines de la vie, ici où nous nous considérons les uns les autres pour ce que nous sommes. J’ai probablement reçu plus que je n’ai donné. »
De 1976 à 1983, la dictature militaire argentine a mené une « guerre sale » contre les « subversifs » et les dissidents. Les défenseurs des droits humains et de la justice sociale pour les pauvres ont été les principales victimes de la répression. Au moins quatre mille civils ont été tués. Dix mille autres ont disparu, enlevés par les militaires pour ne plus jamais être revus. Deux religieuses françaises, Alicia, née Alice, Domon et Léonie Duquet, en faisaient partie.
Elles étaient toutes deux membres de l’Institut des Sœurs des Missions étrangères de Toulouse, en France. Alicia Domon est arrivée en Argentine en 1967, faisant partie de la grande vague de religieuses étrangères qui ont afflué en Amérique latine dans les années qui ont suivi Vatican II. Au début, elles se sont engagées dans des apostolats plus traditionnels. Alicia a travaillé avec des enfants souffrant d’un retard mental, les aidant à se préparer à leur première communion. En 1969, cependant, elle et d’autres membres de sa congrégation ont quitté leur couvent pour s’installer dans un bidonville urbain. Alicia subvenait à ses besoins en travaillant à mi-temps comme employée de maison, tout en exerçant son ministère d’amie et de sœur auprès de ses voisins pauvres.
Au cours des années suivantes, elle a passé beaucoup de temps à la campagne, se familiarisant avec les luttes des paysans sans terre et soutenant leurs efforts d’organisation. C’était une époque où l’on espérait de plus en plus qu’un changement social pacifique était possible. Dans les années 1970, cependant, ces efforts et ces espoirs ont été brutalement réprimés.
De retour à Buenos Aires, Sœur Alicia s’est rapprochée d’une organisation courageuse de femmes, les “Mères de disparus”, qui se rassemblaient chaque jour sur la place centrale, vêtues de noir et portant des photographies de leurs enfants disparus. Cette protestation muette mais éloquente a été pendant de nombreuses années le seul signe visible de dissidence en Argentine. La hiérarchie conservatrice de l’Église catholique est restée largement silencieuse, quand elle n’approuvait pas la défense de la “loi et de l’ordre” par les militaires.
Pour Noël 1977, Alicia avait préparé une retraite pour les Mères. Le soir du 8 décembre, cependant, après avoir quitté une réunion de planification du groupe, Sœur Alicia et douze autres femmes ont été enlevées par des hommes armés en civil. Deux jours plus tard, sœur Léonie Duquet a également été enlevée, apparemment parce qu’elle partageait la même résidence qu’Alicia Domon. Aucune d’entre elles n’a jamais été revue et aucune nouvelle officielle n’a jamais été donnée sur leur sort.
Dans les années qui suivirent, des rumeurs circulèrent parmi les militaires au sujet des “bonnes-sœurs volantes”. Il s’agissait d’une référence aux rumeurs selon lesquelles les disparus étaient régulièrement jetés d’un avion au-dessus de l’océan Atlantique. En 1995, ces rumeurs ont été confirmées par un commandant de la marine à la retraite, Adolfo Scilingo, qui a décrit sa propre participation à deux “vols de la mort” en 1977.
Selon son récit, “au début, cela ne me dérangeait pas de jeter ces corps dans l’océan car, en ce qui me concerne, il s’agissait de prisonniers de guerre. Il y avait des hommes et des femmes, et je n’avais aucune idée de qui ils étaient ou de ce qu’ils avaient fait. Je suivais les ordres.” Mais à un moment donné, “j’ai compris ce que nous étions en train de faire. Nous étions en train de tuer des êtres humains. Mais nous avons quand même continué. Par la suite, lorsqu’il a confessé ses actes à un prêtre militaire, on lui a dit que les meurtres “devaient être commis pour séparer le bon grain de l’ivraie”. Lorsqu’on lui demande de décrire une autre mission en décembre 1977, Scilingo devient désemparé et dit qu’il ne peut pas supporter d’en discuter les détails.
Bien qu’il ait reçu l’absolution à l’époque, Scilingo a déclaré que dans les années qui ont suivi, “j’ai passé de nombreuses nuits à dormir sur les places de Buenos Aires avec une bouteille de vin, en essayant d’oublier. J’ai gâché ma vie… Parfois, j’ai peur d’être seule avec mes pensées”. Dans sa mort, Sœur Alicia a atteint son union la plus intime avec les pauvres et les rejetés vers lesquels elle était attirée. Après sa disparition, la police qui a réquisitionné sa maison a été surprise de découvrir que, comme le plus pauvre des paysans, elle ne possédait pas le moindre vêtement de rechange. Quelques mois avant sa disparition, elle avait écrit à l’archevêque de Toulouse : “Je vous demande de ne rien faire pour me sauver qui puisse mettre en danger les autres. J’ai déjà fait le sacrifice de ma vie.”

Alicia Domon (1937-1977)
“I didn’t come here [to the shantytown] to tell people what they had to do but in order that we could help each other and share life’s joys and sorrows, here where we take each other for what we are. I have probably received more than I have given.”
During the period of 1976 to 1983 a military dictatorship in Argentina conducted a “dirty war” against “subversives” and dissidents. Advocates of human rights and social justice for the poor were among the special victims of the repression. At least four thousand civilians were killed. Another ten thousand were “disappeared” — abducted by the military, never to be seen again. Two French nuns, Sisters Alicia Domon and Léonie Duquet, were among them.
They were both members of the Toulouse Institute of the Sisters of Foreign Mission. Alicia Domon arrived in Argentina in 1967, part of the great wave of foreign religious who flocked to Latin America in the years after Vatican II. At first they engaged in more traditional apostolates. Alicia worked with mentally retarded children, helping them prepare for their first communion. By 1969, however, she and other members of her congregation had moved out of their convent to take up residence in an urban shantytown. Alicia supported herself by working halftime as a household servant while otherwise ministering as a friend and sister to her poor neighbors.
In the following years she spent much time in the countryside, becoming acquainted with the struggles of landless peasants and lending support to their efforts to organize. It was a time of rising hopes in the possibility of peaceful social change. In the 1970s, however, such efforts and hopes were brutally suppressed.
Back in Buenos Aires, Sister Alicia became closely involved with a courageous organization of women, the so-called Mothers of the Dis-appeared, who gathered in the central plaza each day, dressed in black and bearing photographs of their missing children. This mute but eloquent protest was for many years the only visible sign of dissent in Argentina. The conservative hierarchy of the Catholic Church remained largely silent, when not actually endorsing the military’s defense of “law and order.”
For Christmas 1977 Alicia had prepared a retreat for the Mothers. On the evening of December 8, however, after leaving a planning meeting of the group, Sister Alicia and twelve other women were seized by armed men in civilian clothing. Two days later, Sister Léonie Duquet was also abducted, apparently because she shared a residence with Alicia Domon. None of them was ever seen again, nor was there ever any official news of their fate.
In subsequent years jokes circulated among the military about the “flying nuns.” This was taken to be a reference to rumors that the disappeared were routinely tossed out of airplanes over the Atlantic Ocean. In 1995 these rumors were confirmed by a retired Navy commander, Adolfo Scilingo, who described his own part in two “death flights” in 1977.
According to his account, “At first it didn’t bother me that I was dumping these bodies into the ocean because as far as I was concerned they were war prisoners. There were men and women, and I had no idea who they were or what they had done. I was following orders.” At some point, however, “It hit me exactly what we were doing. We were killing human beings. But still we continued.” Afterward, when he confessed his actions to a military priest, he was told the killings “had to be done to separate the wheat from the chaff.” Asked to describe another mission in December of 1977, Scilingo became distraught and said he could not bear to discuss the details.
Despite having received absolution at the time, Scilingo said that in subsequent years, “I have spent many nights sleeping in the plazas of Buenos Aires with a bottle of wine, trying to forget. I have ruined my life… Sometimes I am afraid to be alone with my thoughts.” In her death Sister Alicia attained her most intimate union with the poor and rejected to whom she was drawn. After her disappearance the police who requisitioned her house were surprised to discover that, like the poorest peasant, she did not own so much as a change of clothes. Several months before her disappearance she had written to the archbishop of Toulouse, “I would ask you not to do anything to save me which could endanger others. I have already made the sacrifice of my life.”