Dimanche des Huguenots /  Pâques IV

21 avril, 2024

Actes 4 :5-12   I Jean 3 :16-24    Jean 10 :11-18

 

En 1624, il y a exactement 400 ans, quelques dizaines de commerçants, militaires et aventuriers venus des Pays-Bas, parmi lesquels des réfugiés protestants francophones qu’on appelle Wallons ou Huguenots, ont construit le premier fort à l’endroit où se trouve maintenant le musée d’histoire amérindienne. C’est la date qu’on retient généralement pour marquer la fondation de cette ville, de notre ville, la Nouvelle Amsterdam qui deviendra bientôt New York. Dans beaucoup de cultures, la fondation d’une nouvelle ville est un acte hautement religieux, qui comprend souvent un rituel et des sacrifices d’animaux. Beaucoup de villes, et de nations, ont d’ailleurs à leur origine des meurtres fratricides. Le fondateur de Rome, Romulus, a tué son propre frère Rémus. Dans la Bible, Caïn construit la première ville après avoir tué son frère Abel. La France moderne, dans ses peurs et ses joies, doit aussi beaucoup aux huit guerres de religions, guerres civiles, qui ont opposé catholiques et protestants jusqu’à la signature de l’Édit de Nantes en avril 1598, que nous célébrons aujourd’hui. À l’origine des villes et des nations, de cette ville et de cette nation, où vont vivre en proximité une multitude de gens divers, se trouve souvent la plus pure négation de l’humanité de l’autre. La fondation et la survie de notre petite église n’échappe pas à cela, elle est née et à survit en germant du sang versé par celles et ceux qui en ont fait et en font partie : réfugiés huguenots et leurs esclaves africains, natifs américains exploités et spoliés, immigrants en tous genres qui sont venus ici chercher une vie meilleure.

L’Église tout entière est née du crime, un crime dont Dieu lui-même est la victime et le témoin. Un crime dont nous nous rappelons à chaque fois que nous prenons part à cette table, au mystère de la Communion. Là Jésus Christ lui-même, volontairement, donne sa vie pour nous. Au cours de la liturgie eucharistique, nous proclamons d’ailleurs ce mystère en disant ensemble cette formule paradoxale et gênante : « Alléluia ! Le Christ notre Pâque a été immolé. Célébrons donc la fête ! Alléluia ! » Faut-il la dire avec joie ou avec sérieux ? Je ne sais jamais. Car dans ce mystère se trouve tout ce que signifie Pâques et que nous déballons petit à petit depuis le dimanche de Pâques, en suivant les disciples et l’essor de l’Eglise, comme on déballe des œufs en chocolat. En tant que disciples du Christ, nous croyons en tous cas que ce crime, ce sacrifice, ne nous aide peut-être pas tant à comprendre qu’à survivre à toutes ces morts que nous traversons. Car la mort, les difficultés, nous ne les traversons plus seuls. Nous sommes guidés à travers elles, de l’autre côté du vallon de la mort.

Dans l’Évangile d’aujourd’hui, nous entendons Jésus se présenter à ses disciples comme le Bon Berger de son troupeau, non pas comme le bon banquier, le bon roi ou le bon maire. Le modèle qu’il prend pour parler de son ministère, de la manière dont il exerce son autorité est tout sauf urbain, tout sauf new-yorkais. Son autorité et la vie qui en découle ne dépendent pas d’une administration complexe ou d’une police comme la NYPD. Il est berger, et la manière dont il s’occupe de ses moutons nous montre simplement une nouvelle façon de comprendre qui nous sommes et de nous comporter avec les autres. C’est aussi une autre manière d’imaginer la manière dont Dieu lui-même se rapporte à nous. En effet, élever et guider des moutons (à l’époque de Jésus du moins) demande une attention de chaque instant : les moutons ont besoin du berger pour être conduits « dans les verts pâturages », mais aussi pour être protégés de potentiels prédateurs. Aucun mur pour les protéger ou les contenir. Aucune laisse pour les tirer dans telle ou telle direction. Ce qui les guide, c’est la voix du berger, les mouvements de son corps en marche, le mouvement du reste du troupeau. Ce qui guide et maintient en vie le troupeau, c’est ce labeur, cette vie que le berger leur donne. Cette vie qu’insuffle à son troupeau.

En prenant le berger et ses moutons pour modèle de notre vie avec Dieu et les uns avec les autres, Jésus nous montre qu’une communauté n’est jamais fondée une fois pour toutes. Aujourd’hui, nous célébrons notre héritage huguenot, nos fondateurs, mais ils ne sont pas nos bergers. Seulement les premiers du troupeau. Quand nous formons une communauté, une société, un troupeau, une église, il est toujours bon de prendre le temps de considérer avec attention qui nous suivons. Quelle voix ? Quel bâton nous guide ? Nous risquons sinon, dans bien des cas, de devenir nous-mêmes les bergers de nos vies ou en suivre des faux. Contrairement à Dieu lui-même, nous ne savons pas où se trouvent nos verts pâturages ni d’où viennent les loups. Pour être conduits dans la paix et la sécurité, dans la demeure de Dieu, il est bon de se rappeler que nous appartenons au troupeau de Jésus mais que ce troupeau, lui, ne nous appartient pas. Nous appartenons à Dieu, mais lui, Dieu, ne nous appartient pas. Que nous appartenons à cette société, ce pays, cette terre, mais qu’ils ne nous appartiennent pas. Les persécutions religieuses ou politiques subies par les huguenots et que subissent encore aujourd’hui bien des communautés et des peuples tiennent malheureusement toujours à cela : certains s’octroient le droit de trier et de guider les enfants de Dieu selon tel ou tel critère religieux, idéologique ou nationaliste, sans chercher à les connaître ou les aimer. Nous devons demander au Christ lui-même, notre bon berger, de conduire notre troupeau. Si nous en prenons nous-mêmes la charge, nous risquons d’en exclure ou d’en chasser telle ou telle brebis.

Dans quatre ans, nous célébrerons les 400 ans de notre premier service de Sainte Communion, le jour de Pâques 1628. Les quatre années qui mèneront à cette célébration seront plus que jamais l’occasion de nous rassembler sous le bâton de celui sans qui il n’y aurait pas eu cette Eglise française, cette Société huguenote d’Amérique, notre assemblée même de ce matin qui nous rassemble tous alors que nous sommes de pays, de cultures, d’héritages si divers. C’est seulement ensemble que nous pourrons redécouvrir et raconter, comme dans les Écritures saintes, l’histoire des pécheurs et des saints que nous avons été, ces merveilles que Dieu a faites pour nous à travers tous ces siècles. Si vous êtes là aujourd’hui, en personne ou en ligne, c’est que vous faites aussi partie de ce troupeau, de ce destin. Qui que vous soyez, où que vous soyez, quoi que soit votre histoire, des histoires qui vous ressemblent se trouvent dans l’histoire de notre petite église et attendent que vous les racontiez. Elles attendent aussi que vous les continuiez. L’histoire de notre église n’est pas tant l’histoire d’une fondation que l’histoire d’un chemin sur lequel Jésus nous conduit ensemble.

 

Si célébrer une telle fête est importante, c’est aussi parce que Dieu n’en a pas fini avec ce petit troupeau. Comme Jésus le dit lui-même : « J’ai encore d’autres moutons qui n’appartiennent pas à cet enclos. Je dois aussi les conduire ; ils écouteront ma voix, et ils deviendront un seul troupeau avec un seul berger. » Aucune des pierres rejetées qui ont bâti cette église, aucune des souffrances qui ont été son mortier, n’a été vaine. Aucune de vos souffrances n’ont été vaines. En préparation de cet anniversaire, l’étude et l’écoute de notre histoire, de toutes nos histoires, nous aidera à aller de l’avant, à reconnaître chacune des pierres vivantes de la maison du Seigneur où il est bon de demeurer. Ce sont nos chemins de croix indiquent aussi notre chemin de résurrection. Rien ne se perd sous la houlette du bon berger : Dieu a déjà fait bien au-delà, infiniment au-delà de ce que beaucoup de nos prédécesseurs auraient pu demander et imaginer. Et cela nous le voyons tous les jours lorsque nous constatons les fruits que porte notre congrégation et qui attire beaucoup de monde. Je pense par exemple à notre ministère en ligne qui, en attirant des personnes venues de loin, renverse la malédiction de l’exil. Je pense à notre congrégation plus diverse et œcuménique que jamais, dans laquelle nous pouvons être pleinement qui nous sommes, plus ou moins protestant ou catholique, et explorer librement notre vie avec Dieu les uns avec les autres, dans une intimité qui nous rappelle l’intimité du Christ avec ses moutons. Je pense enfin aux liens et partenariat que nous allons pouvoir continuer à développer avec d’autres églises huguenotes ou anglicanes francophones dans les années à venir. La seule manière dont nous pouvons vivre libres de nous-mêmes et des prisons de ce monde, c’est en aimant notre Seigneur et en aimant ce qu’il a créé. C’est en écoutant sa voix qui nous guide parmi son troupeau.                                 JFAB

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Huguenot Sunday /  Easter IV

21 April, 2024

Acts 4 :5-12   I John 3 :16-24    John 10 :11-18

 

In 1624, exactly 400 years ago, a few dozen merchants, soldiers, and adventurers from the Netherlands, including French-speaking Protestant refugees known as Walloons or Huguenots, built the first fort on the site of what is now the Museum of Native American History. It’s the date we generally use to mark the founding of this city; our city, New Amsterdam, soon to become New York. In many cultures, the founding of a new city is a highly religious act, often involving ritual and animal sacrifice. Many cities, and indeed nations, have their origins in fratricidal murders. Rome’s founder, Romulus, killed his own brother Remus. In the Bible, Cain built the first city after killing his brother Abel. Modern France, with all its fears and joys, also owes much to the eight Wars of Religion; civil wars that pitted Catholics against Protestants until the signing of the Edict of Nantes in April 1598, which we celebrate today. The origins of cities and nations, of this city and this nation, where a multitude of diverse people live in close proximity, often lie in the denial of the humanity of others. The founding and survival of our little church is no exception: it was born and survives by growing from the blood shed by those who have been and are part of it: Huguenot refugees and their African slaves, exploited and despoiled native Americans, immigrants of all kinds who came here in search of a better life.

The whole Church was born out of crime, a crime of which God himself is both victim and witness. A crime we are reminded of every time we approach this table, the mystery of Communion. There, Jesus Christ himself willingly gives his life for us. During the Eucharistic liturgy, we proclaim this mystery by saying together this paradoxical and embarrassing formula: “Alleluia! Christ our Passover has been sacrificed for us. Therefore, let us keep the feast! Alleluia!” Should we say it with joy or with seriousness? I never know. For in this mystery lies everything that Easter means and that we’ve been unwrapping little by little since Easter Sunday, following the disciples and the rise of the Church, like unwrapping chocolate eggs. In any case, as followers of Christ, we believe that this crime, this sacrifice, may not so much help us to understand as to survive all the deaths we go through. For we no longer go through death and hardship alone. We are guided through them, to the other side of the valley of death.

In today’s Gospel, we hear Jesus present himself to his disciples as the Good Shepherd of his flock, not as the good banker, king or mayor. The model he uses to talk about his ministry, the way he exercises his authority, is anything but urban, anything but New York. His authority and the life that comes with it don’t depend on a complex administration or a police force like the NYPD. He’s a shepherd, and the way he looks after his sheep simply shows us a new way of understanding who we are and how we relate to others. It’s also another way of imagining how God himself relates to us. Indeed, raising and guiding sheep (at least in Jesus’ time) requires constant attention: the sheep need the shepherd to lead them “into the green pastures”, but also to protect them from potential predators. There are no walls to protect or contain them. No leash to pull them in one direction or another. What guides them is the shepherd’s voice, the movements of his body on the move, the movement of the rest of the flock. What guides and keeps the flock alive is the labor, the life the shepherd gives them. The life he breathes into his flock.

By taking the shepherd and his sheep as models for our life with God and with each other, Jesus shows us that a community is never founded just once and for all. Today, we celebrate our Huguenot heritage, our founders, but they are not our shepherds. Only the first of this flock. When we form a community, a society, a flock, a church, it’s always good to take the time to consider carefully who we’re following. Whose voice? Whose staff is guiding us? In many cases, we risk becoming the shepherds of our own lives, or following the wrong ones. Unlike God himself, we don’t know where our green pastures are, or where the wolves are coming from. In order to be led in peace and security to God’s dwelling place, it’s good to remember that we belong to Jesus’ flock, but the flock does not belong to us. We belong to God, but he, God, does not belong to us. We belong to this society, this country, this land, but they don’t belong to us. The religious and political persecutions suffered by the Huguenots, and still suffered today by many communities and peoples, are unfortunately still due to this: some people grant themselves the right to sort and guide God’s children according to this or that religious, ideological or nationalistic criterion, without seeking to know or love them. We must ask Christ himself, our good shepherd, to lead our flock. If we take charge of it ourselves, we run the risk of excluding or driving away individual sheep.

In four years’ time, we’ll be celebrating 400 years since our first Holy Communion service, on Easter Day 1628. The four years leading up to this celebration will be more than ever an opportunity to come together under the baton of the man without whom there would not have been any French Church, any Huguenot Society of America, or this very assembly this morning, which brings us together from so many different countries, cultures and heritages. Only together can we rediscover and recount, as in the Scriptures, the story of the sinners and saints we have been, the wonders God has done for us over the centuries. If you’re here today, in person or online, it’s because you too are part of this flock, this destiny. Whoever you are, wherever you are, whatever your story, there are stories like yours in the history of our little church, waiting for you to tell them. They’re also waiting for you to continue them. The story of our church is not so much the story of a foundation as the story of a path on which Jesus leads us together.

If celebrating such a feast is important, it’s also because God hasn’t finished with this little flock. As Jesus himself says: “I still have other sheep that don’t belong to this fold. I must also lead them; they will listen to my voice, and they will become one flock with one shepherd.” None of the rejected stones that have built this church, none of the suffering that has been its mortar, has been in vain. None of your suffering has been in vain. As we prepare for this anniversary, studying and listening to our history, all our histories, will help us to move forward, to recognize each of the living stones of the Lord’s house where it is good to dwell. Our paths of the cross also indicate our path to resurrection. Nothing is lost under the leadership of the Good Shepherd: God has already done far more, infinitely more than many of our predecessors could have asked or imagined. And we see this every day when we look at the fruit our congregation is bearing, which is attracting so many people. I’m thinking, for example, of our online ministry which, by attracting people from afar, is reversing the curse of exile. I think of our congregation, more diverse and ecumenical than ever, in which we can be fully who we are, more protestant or more catholic, yet freely explore our life with God and with one another, in an intimacy that reminds us of Christ’s intimacy with his sheep. Finally, I’m thinking of the links and partnerships we’ll be able to continue to develop with other French-speaking Huguenot or Anglican churches in the years to come. The only way we can live free of ourselves and of this world’s prisons is by loving our Lord and loving what he has created. It is by listening to his voice that we will be guided as his flock.                      JFAB