Jeudi Saint 2024

Nos pieds sont une partie de notre corps assez paradoxale. C’est à la fois ces membres sur lesquels nous nous tenons, avec lesquels nous allons partout, grâce auxquels nous sommes en contact avec la terre entière et à la fois quelque chose de très intime. Dans beaucoup de cultures anciennes ou présentes, l’on se déchausse pour entrer dans une maison ou un sanctuaire. Cela n’est pas seulement par mesure d’hygiène, mais un peu comme si le lieu dans lequel nous entrons, cette maison, ce sanctuaire, avait une sacralité, une certaine tendresse qui exigeait de nous pour y entrer de laisser ces protections que sont nos souliers.

Dans l’évangile de Jean, pendant son dernier repas avec ses disciples, Jésus n’institue pas le rituel de la communion, ce repas pris en mémoire de lui, où le pain est son corps et le vin son sang. En lieu et place de ce mystère, Jésus institue un autre rite prophétique, le lavement des pieds. Lui qui est le maître, s’agenouille pour laver les pieds de ses disciples. De tous ses disciples, y compris de Judas qui l’a déjà trahi. Pour nous aujourd’hui l’idée de se laver les pieds mutuellement est aussi, sinon plus, gênante qu’elle ne l’était pour les disciples de Jésus. Outre le fait que comme moi vous êtes peut-être chatouilleux des pieds, on n’est surtout pas habitué à toucher les pieds d’autres personnes même des gens qu’on connaît bien, même parfois de la personne qui partage votre vie. On ne fait pas non plus toujours grand cas de nos propres pieds, au grand dam des podologues. Alors imaginer que Dieu, lui-même veuille toucher, laver ce que nous ne partageons même pas avec nos plus intimes, que nous ne prenons pas toujours le temps de soigner et toucher nous-même… cela a de quoi nous scandaliser. Cela a scandalisé Pierre.

La réaction de Pierre quand Jésus veut lui laver les pieds en dit long sur ce qui nous gêne vraiment dans ce rite mystérieux et si simple. Quand Jésus veut lui laver les pieds, Pierre commence par s’offusquer car il a une idée très haute, trop haute de Jésus. Il pense que Jésus est trop sacré, trop important, trop élevé pour cela. Et qu’il est lui-même trop vil, trop sale, trop bas. Jésus lui répond : « Si je ne te lave pas, tu ne partageras rien avec moi. » La réponse de Pierre à cela est tout aussi excessive que sa première indignation : « Seigneur, ne me lave pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête. » Jésus ne manque pas de le reprendre une fois de plus en lui disant que ceux qui se sont déjà baigné n’ont besoin que de se laver les pieds. En fait, dans ses réponses aux remarques outrancières de Pierre, Jésus insiste en fait sur une chose qui est au cœur de sa voie de l’amour, de cette nouvelle manière d’être que la veille de sa mort il veut enseigner et confier à ses disciples. Ce qui est important dans ce rite, ce n’est pas tant le fait d’être lavés, purifiés par l’eau comme le croit Pierre. Ce qui est important c’est l’intimité qui s’y crée, une intimité qui transforme celui qui lave comme celui qui est lavé. Une intimité qui les lie. C’est cette intimité aimante, avec Dieu, avec nos frères et sœurs, une intimité qui nous bouleverse et nous gêne parfois qui est pourtant la matière même du Royaume de Dieu.

C’est dur pour nous de nous laisser simplement toucher, aimer par Dieu. Nous voulons contrôler Dieu, même quand il se donne à nous. Comme Pierre, nous craignons son regard d’amour et c’est pourquoi nous avons tendance à nous dénigrer devant lui ou à vouloir trop en faire trop. Nous craignons son amour et c’est pourquoi nous l’abattons le Vendredi Saint. En nous lavant les pieds, en nous invitant à nous laver les pieds mutuellement, Jésus expose bien ces résistances qui sont les nôtres, notre peur d’être vulnérable. Jésus nous enseigne à quel point nous craignons d’être simplement, intimement, aimé par lui, de nous confier entre ses mains. Ce soir, c’est dans les mystères de la communion et du lavement des pieds que Jésus se donne à nous d’une manière qui nous dérange. Il se livre à notre merci pour nous faire entrer dans la miséricorde de Dieu.

En prière, nous allons demeurer aussi ce soir avec Jésus dans un lieu où aucun de ses premiers disciples n’est resté. Nous serons au jardin de Gethsémané avec lui. Les disciples se sont enfuis, et nous aussi nous nous enfuyons sans cesse. Et pourtant, ce soir, nous serons avec lui dans son jardin, comme Adam et Eve étaient avec Dieu en Eden. Ici, ce n’est pas nous qui allons veiller Jésus, Jésus en proie à la souffrance et au mal de ce monde. C’est Dieu lui-même qui ce soir nous veille, qui nous veille au milieu de ce monde qui souffre jusqu’à la mort. Dans la nuit de ce jardin de souffrance, en étant vulnérable, Jésus nous montre comment nous mettre à nu devant lui, sans honte. Ici, le Dieu qui souffre va veiller et demeurer avec nous, prier en nous. L’heure est venue de nous déchausser de nos prétentions et nos protections. Dieu se livre à nous. Dieu se livre pour nous. JFAB
Maundy Thursday 2024

Our feet are a rather paradoxical part of our body. They are at the same time the appendages on which we stand, which carry us everywhere and with which we are in contact with the whole earth: yet at the same time they are very intimate. In many cultures, past and present, we take off our shoes to enter a house or a sanctuary. This is not just for hygienic reasons, but as if the place or the house that we enter, this sanctuary, has a sacredness and a certain tenderness that requires us to leave our protective footwear at the entrance.
During his last meal with his disciples In John’s Gospel, Jesus is not instituting the ritual of communion, that meal taken in memory of him in which the bread becomes his body and the wine his blood. Instead, Jesus institutes another prophetic rite, the washing of the feet. He, their Master, kneels to wash the feet of his disciples. All his disciples, including Judas, who has already betrayed him. For us today, the idea of washing each other’s feet is just as (if not more) awkward than it was for Jesus’ disciples. Apart from the fact that, like me, you may have ticklish feet, we’re certainly not used to touching other people’s feet, even the feet of people we know well, even sometimes those of the person who shares your life. Nor do we always pay much attention to our own feet, much to the chagrin of podiatrists! So, to imagine that God himself would want to touch and wash what we don’t even share with our most intimate friends, the appendages we don’t always take the time to care for and touch ourselves… it’s enough to scandalize us. It scandalized Peter.
Peter’s reaction when Jesus wanted to wash his feet says a lot about what really bothers us about this mysterious yet simple rite. When Jesus wanted to wash his feet, Peter first took offense, because he had a very high – too high – idea of Jesus. He thinks Jesus is too sacred, too important, too high for that. And that he himself is too desipicable, too dirty, too low. Jesus replies, “If I don’t wash you, you’ll share nothing with me.” Peter’s response to this is just as excessive as his initial indignation: “Lord, wash not only my feet, but also my hands and my head.” Jesus doesn’t fail to correct him once again, telling him that those who have already bathed need only wash their feet. In fact, in his responses to Peter’s outrageous remarks, Jesus actually insists on something that lies at the heart of his way of love, this new way of being that on the eve of his death he wants to teach and entrust to his disciples. What’s important in this rite is not so much the fact of being washed and purified by water, as Peter believes. What’s important is the intimacy it creates, an intimacy that transforms the one who washes as well as the one who is washed. It is an intimacy that binds them together. This loving intimacy, with God, with our brothers and sisters, an intimacy that sometimes upsets and embarrasses us, is in fact the very stuff of the Kingdom of God.
It’s hard for us to simply let ourselves be touched and loved by God. We want to control God, even when he gives himself to us. Like Peter, we fear his loving gaze, and that’s why we tend to denigrate ourselves before him or want to overdo it. We fear his love, and that’s why we slaughter him on Good Friday. By washing our feet, by inviting us to wash each other’s feet, Jesus exposes our own resistance and our fear of being vulnerable. Jesus teaches us how much we fear to be simply, intimately, loved by him, to entrust ourselves into his hands. Tonight, in the mysteries of communion and foot washing, Jesus gives himself to us in ways that unsettle us. He gives himself up to our mercy to let us enter into God’s mercy.
In prayer, we will also be staying with Jesus this evening in a place where none of his first disciples stayed. We’ll be with him in the Garden of Gethsemane. The disciples have fled, and we too are constantly fleeing. And yet, tonight, we will be with him in his garden, just like Adam and Eve were with God in Eden. Here, it is not we who will watch over Jesus; Jesus in the grip of the suffering and evil of this world. It is God himself who keeps watch over us tonight, who watches over us in the midst of this world that is suffering to the point of death. In the night of this garden of suffering, by being vulnerable, Jesus shows us how to lay ourselves bare before him, without shame. Here, the suffering God will watch over us, dwell with us and pray within us. The time has come to take off our pretensions and protections. God gives himself up to us. God gives himself up for us.
JFAB