Le deuxième dimanche de Carême le 5 mars 2023
Le livre de la Genèse contient quelques petits indices sur l’époque à laquelle vivaient les personnages. Certains détails indiquent le début du deuxième millénaire avant J.-C. (1800 avant J.-C., l’âge de Bronze moyen) et d’autres indiquent une période beaucoup plus tardive – par exemple, on nous dit qu’Abraham avait des chameaux, et ces animaux difficiles n’ont été domestiqués que probablement environ mille ans plus tard. Le consensus parmi les archéologues et les érudits est que les histoires concernant Abraham datent de cette période antérieure, environ mille huit cents ans avant la naissance du Christ. Les récits d’Abraham sont si centraux dans l’histoire biblique qu’il est aujourd’hui une figure essentielle pour les trois grands monothéismes du monde : le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam. Le nom d’Abraham est mentionné chaque jour dans les prières de ces trois religions. Dans le Judaïsme, il est invoqué lors des prières du matin. Dans le christianisme, son nom n’apparaît pas seulement dans les psaumes et les cantiques de la prière du matin (comme le Magnificat), mais il est également mentionné dans le canon de la messe catholique romaine et dans la liturgie orthodoxe grecque de Saint-Basile le Grand. Dans l’Islam, son nom est invoqué cinq fois par jour dans les prières prescrites par le Coran et les Hadiths du prophète Mahomet.
J’ai un peu de peine pour Abraham. Il a été monopolisé à tant de fins religieuses et politiques que son personnage et l’histoire de sa vie ne peuvent plus être lus comme le récit émouvant d’un homme et de sa famille qui ont quitté leur foyer pour trouver leur destin dans une terre étrangère. Dans l’histoire religieuse, Abraham est un personnage qui divise autant qu’il unit ces trois religions monothéistes. De manière très générale, le Judaïsme dit aux chrétiens et aux musulmans que la promesse de Dieu était limitée aux descendants physiques du patriarche Abraham. Le Christianisme rappelle aux juifs et aux musulmans qu’Abraham nous montre que la foi est bien plus importante que la généalogie physique ou la Loi. L’slam dit aux juifs et aux chrétiens qu’Abraham a été le premier à renoncer aux idoles et à se soumettre à la loi de Dieu ; et que la pureté de ses actions a été obscurcie par les généalogies juives et le sectarisme chrétien.
Notre lecture de l’épître de Paul aux Romains en est un exemple. Paul reproche aux Juifs de penser que la descendance physique d’Abraham est nécessaire pour être favorisé par Dieu. Il explique à l’Église romaine qu’Abraham est né avant que Moïse ne descende du mont Sinaï avec les tables de la loi. Par conséquent, Abraham a été considéré comme juste par Dieu, non pas parce qu’il a observé la loi, mais parce qu’il a répondu avec foi à l’ordre de Dieu de quitter sa patrie et d’aller là où Dieu lui a dit d’aller. Sa justice n’a pas été gagnée, elle lui a été accordée par Dieu. Il est donc le précurseur et le fondateur d’une religion fondée sur la grâce, et non d’une religion fondée sur le tribalisme et la loi. Lorsque nous lisons ce passage aujourd’hui, nous oublions à quel point il a dû paraître offensant et polémique à ses lecteurs – tant à l’époque qu’aujourd’hui ; qu’ils soient des juifs convertis ou des païens convertis dans l’Église romaine. En tant que chrétiens, nous sommes tout aussi offensés d’entendre nos co-monothéistes juifs ou musulmans nous dire que nous n’avons pas le droit de monopoliser Abraham à nos propres fins. Pourtant Abraham a également été invoqué pour mener ces trois religions vers un terrain d’entente. Lorsque nous laissons de côté notre esprit partisan et commençons à examiner l’histoire d’Abraham avec un cœur ouvert, trois thèmes commencent à émerger. Ces thèmes ont le pouvoir de nous nourrir dans notre propre tradition de foi et de nous ouvrir à la richesse des traditions des autres.
Tout d’abord, Abraham a été l’une des premières personnes de l’histoire à regarder au-delà de l’ordre créé (aussi beau soit-il) pour répondre personnellement à l’appel du Dieu unique qui se trouve au-delà et qui l’a créé. Il y a une immédiateté et une intimité dans son histoire. Il a laissé derrière lui sa patrie et ses idoles pour répondre à un appel personnel. Les trois monothéismes voient en lui un exemple qui nous pousse à mettre Dieu en premier. Si nous donnons la priorité à notre nationalité, à nos possessions, à l’argent, à notre famille, à la nourriture et aux vêtements, ces choses nous sépareront de l’Unique créateur qui nous appelle à être bénis par Lui, peu importe ce que nous devrons abandonner, et peu importe où nos voyages nous mèneront.
Deuxièmement, Abraham nous unit tous dans sa généreuse hospitalité. J’ai assisté à de nombreux événements interconfessionnels introduits par les mots : « Votre Dieu et le nôtre sont les mêmes. Nous sommes sœurs et frères dans la foi d’Abraham. » Dieu a promis qu’Abraham deviendrait le père de nombreuses nations – et cette promesse a été tenue en ce qui concerne Dieu. Il nous appartient de découvrir notre parenté en partageant notre ancêtre commun les uns avec les autres, sans querelles partisanes.
Enfin, Abraham a été appelé à se mettre en route. Juifs, chrétiens et musulmans sont tous d’accord pour dire que le voyage qu’Abraham a entamé se poursuit encore aujourd’hui. Il se poursuit certainement pour nous. Abraham s’est simplement levé et il est parti. On ne lui a pas donné de carte. On ne lui a pas dit le nom du pays que Dieu avait préparé pour lui. Son voyage n’était pas seulement un passage vers un nouveau lieu, c’était avant tout un voyage intérieur. Si nous transformons Abraham en un concept qui prouve notre point de vue religieux, nos voyages s’arrêteront avant que nous ayons découvert notre véritable trésor. Abraham nous enseigne la confiance. Il nous apprend à laisser derrière nous les choses dont nous tirons un faux sentiment de sécurité. Il nous apprend que c’est une chose sainte que d’être un pèlerin. C’est peut-être un message que nous avons besoin d’entendre à nouveau pendant le temps où nous sommes exilés de notre propre petit sanctuaire pour célébrer notre culte ici, dans la salle paroissiale. Abraham nous apprend à voyager dans l’espoir jusqu’au jour où nous arrivons à l’endroit que Dieu prépare déjà pour nous. Puissent tous nos voyages – tout comme celui d’Abraham – culminer vers une destination aussi riche et belle.
NJM Ver. Fr. FS
Lent II
March 5, 2023
Genesis 12:1-4 Romans 4:1-5, 13-17 John 3:1-17
The book of Genesis contains a few little clues about the times in which the characters lived. Some details point to the early second millennium BC (1800 BC, the Middle Bronze Age) and some details point to a much later period – for instance, we are told that Abraham had camels, and those difficult animals weren’t domesticated until probably about a thousand years later. The consensus among archeologists and scholars is that the stories concerning Abraham date from this earlier period, about one thousand eight hundred years before Christ’s birth. The stories of Abraham are so central to the biblical story that he is now a vital figure for the three great monotheisms of the world: Judaism, Christianity and Islam. Abraham’s name is mentioned every single day in the prayers of all three of these religions. In Judaism, he is invoked in the morning prayers. In Christianity, his name doesn’t just appear in the Psalms and Canticles set for Morning Prayer (such as the Magnificat) he is also mentioned in the canon of the Roman Catholic mass and the Greek orthodox liturgy of St. Basil the Great. In Islam, his name is invoked five times a day in the prayers prescribed by the Qur’an and the Hadith of the prophet Muhammad.
I feel a little sorry for Abraham. He has been monopolized for so many religious and political purposes that his character and life story can’t now be read as a moving account of a man and his family who left their homes to find their destiny in a foreign land. In religious history, he is a figure who divides as much as he unites those three monotheist religions. Speaking very broadly, Judaism tells Christians and Muslims that God’s promise was limited to the physical descendants of the Patriarch Abraham. Christianity reminds Jews and Muslims that Abraham shows us that faith is far more important than physical genealogy or the Law. Islam tells Jews and Christians that Abraham was the first to renounce idols and submit himself to God’s law; and that the purity of his actions has been obscured by Jewish genealogies and Christian sectarianism.
Our reading from the epistle of Paul to the Romans is an example of this. Paul berates the Jews for thinking that physical descent from Abraham is necessary to be favored by God. He tells the Roman church that Abraham was born before Moses came down Mount Sinai with the tablets of the Law. Therefore, Abraham was counted righteous by God not because he observed the Law, but because he responded in faith to God’s command to leave his homeland and go where God told him. His righteousness was not earned; it was granted to him by God. He is therefore the forerunner and founder of a religion based on grace, and not of one that is founded on tribalism and the Law. When we read this passage today, we forget how offensive and polemical it must have sounded to its readers – both then and now; whether they were converted Jews or converted pagans in the Roman Church. As Christians, we are equally offended to hear our Jewish or Muslim co-monotheists tell us that we have no right to monopolize Abraham for our own purposes. But Abraham has also been invoked to bring these three religions to a common ground. When we leave our partisan spirit behind and begin to examine Abraham’s story with an open heart, three themes begin to emerge. These themes have the power both to nourish us in our own faith tradition, and to open us up to the richness of the traditions of others.
Firstly, Abraham was one of the first people in recorded history to look beyond the created order (however beautiful it may be) to respond personally to the call of the One God who lies beyond it and who created it. There is an immediacy and an intimacy in his story. He left behind his homeland and his idols to respond to a personal call. All three monotheisms see him as an example to us to put God first. If we put our nationality, possessions, money, family, food and clothing first, those things will separate us from the One creator who calls us to be blessed by Him, no matter what we might have to give up, and no matter where our journeys may take us.
Secondly, Abraham unites us all in his generous hospitality. I have been to many inter-faith events introduced by the words: “Your God and ours is the same. We are sisters and brothers in the faith of Abraham.” God promised that Abraham would become the father of many nations – and that promise has been kept on God’s part. It is up to us to discover our kinship by sharing our common ancestor with each other, without partisan bickering.
Finally, Abraham was called to set out on a journey. Jews, Christians and Muslims all agree that the journey that Abraham began still continues today. It certainly continues for us. Abraham simply got up and left. He was not given a map. He was not told the name of the land that God had prepared for him. His journey was not just an outward passage to a new place; it was first and foremost a journey within. If we turn Abraham into a concept that proves our religious point, our journeys will end before we have discovered our true treasure. Abraham teaches us trust. He teaches us to leave behind those things from which we derive a false sense of security. He teaches us that it is a holy thing to be a pilgrim. Perhaps it is a message we need to hear afresh during the time we are exiled from our own little sanctuary to worship here in the parish room. Abraham teaches us to travel in hope until the day when we come to the place God is already preparing for us. May all our journeys – just like Abraham’s – culminate in such a rich and beautiful destination.
NJM