Même si la plupart de mes proches en France ont grandi en allant à l’Église – c’est-à-dire à l’Église catholique – ils n’ont pas ou plus l’habitude y aller. S’ils entrent dans des églises pour les visiter, ils n’y vont pas ou plus pour participer à la vie de la communauté. Les raisons de ce désamour sont complexes : elles sont à la fois les conséquences d’un long processus historique de sécularisation qui a maintenant atteint son apogée et le fruit d’une expérience personnelle et intime de déception face à ce qu’est devenue l’Église et à la manière dont les gens y ont été traités. Pour beaucoup, l’Église n’a rien à voir avec un foyer et ce n’est pas étonnant qu’il ne veuillent pas y entrer ! C’était mon contexte quand j’ai entendu un jour alors que j’étais petit quelqu’un dire à la télé que l’Église était « la maison de Dieu ». Ça m’avait choqué mais m’a aussi laissé très perplexe. La maison de vacances de mes grands-parents à Erquy en Bretagne était adjacente à l’église du village et ils m’emmenaient la visiter de temps en temps lorsqu’il n’y avait pas de service. Pourtant, rien à l’intérieur de ce bâtiment que les adultes appelaient « église » ne ressemblait à une maison pour le Joris de 5 ans ! Comment Dieu pourrait-il vivre ici ? Il faisait sombre, humide et ce n’était pas accueillant. C’était vide. Il n’y avait ni chambre, ni cuisine, ni jouets. Dans la maison de Dieu il manquait tout ce qu’on peut trouver dans ce qu’on appelle une maison, encore moins un chez-soi !
Nos lectures du livre de Samuel ce matin, ainsi que l’évangile de l’annonce de la naissance de Jésus à Marie nous parlent de ce que veut dire pour Dieu avoir une maison, un endroit où habiter et vivre avec son peuple, avec nous. Pour beaucoup de nos contemporains, cette idée que Dieu ait une maison sur terre est bien étrange car nous sommes habitués à imaginer Dieu là-haut dans les nuages. Dieu aussi la trouve étrange d’ailleurs cette idée, mais pas pour la même raison ! Lorsque David décide unilatéralement de construire une maison pour lui, le Seigneur s’indigne : « Ce n’est pas toi qui me construiras un temple où je puisse habiter ! » En effet, depuis le début Dieu lui-même s’est construit sa maison, l’endroit où il habite avec sa famille, ceux qui lui ressemblent, ses enfants, nous : c’est sa création. Toute la création est sa maison, alors on peut comprendre que Dieu s’insurge contre David qui veut lui faire un temple qui ne serait à ses yeux guère plus grand qu’un studio new-yorkais ! En pensant faire plaisir à Dieu, en lui construisant un palais comme le palais d’un roi humain, David mesure en fait Dieu à sa propre image, il risque de le limiter et le contrôler, faire du Dieu nomade d’Israël un Dieu stable et bourgeois comme les dieux des autres peuples, un dieu qui devient une commodité qu’on peut contrôler et utiliser comme caution ou pour servir notre égo. La réponse de Dieu à David est un pied de nez : Dieu joue sur le double sens du mot « maison » en hébreu, qui se dit beth. Beth c’est en effet à la fois la maison au sens de bâtiment mais c’est aussi la famille, c’est la maison et la maisonnée, c’est la dynastie. Quand David pense au bâtiment, Dieu lui pense à la famille car Dieu sait que si les êtres humains fixent eux-mêmes les règles, les mesures et les proportions de la maison de Dieu avec les humains, Dieu ne pourra jamais y exprimer la profondeur de l’intimité, de l’amour, de l’esprit de famille qu’il veut avoir avec nous depuis Eden, depuis la fondation du monde. Dieu sait que ce que les hommes construisent ne durent pas : il vaut mieux qu’il bâtisse lui-même sa maison avec les humains.
La promesse que Dieu fait à David d’une famille éternelle, d’une descendance sans fin, s’accomplie aujourd’hui dans l’annonce faite à Marie. À travers Marie, Dieu voit se réaliser son rêve : il sera enfin en famille parmi nous. Il vient être avec nous non selon nos propres termes, ni même selon nos propres relations familiales qui sont souvent toxiques, abusives, meurtries ou exclusives mais en prenant le meilleur de l’amour humain, là où il ne fait qu’un avec l’amour de Dieu, là où nos familles humaines deviennent la famille de Dieu. En Marie, Dieu a une maman humaine, qui le désire et l’aime. Qui veut pour lui le meilleur et qui au fond d’elle-même, dans sa propre chair, ne pourra plus jamais se séparer de lui. A travers elle, nous aussi nous pouvons aimer Dieu et tous les enfants de Dieu d’une façon complètement nouvelle et radicale. A travers Marie, nous sommes aimés d’une façon révolutionnaire : dans le miracle de cette incarnation naît une nouvelle famille « bâtie pour l’éternité » car elle est bâtie sur Dieu. Ce n’est pas un programme complexe qui la bâti, une combinaison de ruse, de force, d’humiliation, d’arrogance, mais simplement la tendresse, la patience, la douceur et l’amour d’une femme.
Alors qu’elle vit dans un pays occupé par les autorités romaines, dans une petite ville de l’arrière-pays de Galilée, inconnue de tous, Marie dit oui à Dieu. Et cet accueil au cœur du monde troublé et brisé dans lequel elle vit et où nous nous trouvons encore annonce la naissance d’un nouvel ordre qu’elle proclame dans son chant de joie qu’est le Magnificat : « Dieu renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. » Depuis, le oui de Marie, où que nous soyons, dans la joie, dans la peine, dans les célébrations ou dans le deuil, Dieu germe en nous comme une présence et une promesse de paix et de joie, non seulement pour nous-mêmes mais aussi pour les autres pour peu que nous comptions sur lui. Par la confiance, nous pouvons, ensemble, le laisser grandir en nous. La saison de Noël nous donne pour cela plein d’occasions, ici à l’église, mais aussi autour de nous, de former les uns pour les autres des foyers chaleureux par notre attention, notre écoute, notre service. Ce n’est autre que dans la nuit, au plus sombre de l’année, ce soir, que Dieu viendra habiter parmi nous pleinement en naissant de nouveau.
La création et le monde aujourd’hui sont en ruine, comme ils l’étaient déjà au temps où l’ange Gabriel est venu apporter à Marie cette nouvelle inouïe. On fait partout la guerre à la création et les chrétiens Palestiniens à Bethléhem ne célébreront pas Noël comme d’habitude cette année. L’Église aussi est délabrée. Mais à même ce monde, à même nos relations brisées les uns avec les autres, Dieu nous montre en Marie que par l’accueil que nous nous nous faisons les uns aux autres, nous pouvons donner naissance à une nouvelle famille sur laquelle la mort l’aura in fine aucun pouvoir. Une maisonnée que le temps et la haine ne pourront jamais détruite. Et cette nouvelle famille commence tout petit, dans la confiance d’une femme, il y a deux mille ans. Dans notre confiance, aujourd’hui. En Jésus que nous recevons en nous à cet autel, il nous est donné de former un foyer accueillant pour que Dieu et chacun d’entre nous trouve paix et guérison au cœur de ce monde, au cœur de cette ville. Ici, dès maintenant, dans le froid de l’hiver, germe en nous un asile chaleureux les uns pour les autres. Seul l’amour ici-bas peut restaurer la maison de Dieu, la création, le monde et l’église. Seul l’amour lorsqu’il prend corps et chair dans nos relations, dans notre communauté accueillante et ouverte nous donne de vivre avec Dieu. Seul l’amour peut former parmi nous un endroit où l’on aime venir et revenir, comme on aime rentrer à la maison après une longue journée, après un long voyage.
ENGLISH – ADVENT IV B
Even though most of my relatives in France grew up going to Church – that is, the Catholic Church – they don’t go there, or no longer do. If they go to church to visit, they don’t go to participate in the life of the community. The reasons for this disenchantment are complex: they are both the consequences of a long historical process of secularization that has now reached its apogee, and the fruit of a personal and intimate experience of disappointment with what the Church has become and the way people have been treated within it. For many, the Church has nothing to do with a home, and it’s no wonder they don’t want to be there! This was my context when, as a child, I heard someone say on TV that the Church was “God’s house”. It shocked me, but also left me very perplexed. My grandparents’ vacation home in Erquy, Brittany, was adjacent to the village church, and they used to take me to visit it from time to time when there was no service. Yet nothing inside the building the adults called “church” looked like a home to 5-year-old Joris! How could God live here? It was dark, damp and unwelcoming. It was empty. There were no bedrooms, no kitchen, no toys. God’s house lacked everything you’d find in a house, let alone a home!
Our readings from the book of Samuel this morning, and the gospel of Jesus’ birth announcement to Mary, speak to us of what it means for God to have a house, a place to dwell and live with his people, with us. For many of our contemporaries, the idea of God having a home here on earth is a strange one, since we’re used to imagining God up there in the clouds. God finds this idea strange too, but not for the same reason! When David unilaterally decides to build a house for him, the Lord is indignant: “It is not you who will build me a temple where I can dwell!” In fact, from the very beginning, God himself built his own house, the place where he lives with his family, those who look like him; his children, us: his creation is that house. The whole of creation is his house, so it’s easy to understand why God would take exception to David’s desire to build him a temple, which in his eyes would be no bigger than a New York studio! By thinking he was pleasing God, by building him a palace like the palace of a human king, David was in fact measuring God in his own image, running the risk of limiting and controlling him, turning the nomadic God of Israel into a stationary, bourgeois God like the gods of other peoples, a god who becomes a convenience that we can control and use as a guarantee or to serve our ego. God’s response to David is a thumbing of the nose: God plays on the double meaning of the word “house” in Hebrew, which is beth. Beth means house in the sense of building, but it also means family, household, dynasty. When David thinks of a building, God thinks of a family, for God knows that if human beings themselves set the rules, if they measure and proportion God’s house according to human beings, God will never be able to express in it the depth of intimacy, love and family spirit that he has wanted to share with us since Eden, since the foundation of the world. God knows that what men build doesn’t last: it’s better for him to build his own house with human beings.
God’s promise to David of an eternal family, of descendants without end, is fulfilled today in the announcement made to Mary. Through Mary, God sees his dream come true: he will finally be with us as a family. He comes to be with us not on our own terms, nor even on our own family relationships, which are often toxic, abusive, wounded or exclusive, but by taking the best of human love, where it becomes one with God’s love, where our human families become God’s family. In Mary, God has a human mother, who desires and loves him. Who wants the best for him, and who deep down, in her own flesh, can never again separate herself from him. Through her, we too can love God and all God’s children in a completely new and thorough way. Through them, we are loved in a revolutionary way: in the miracle of this incarnation, a new family is born, “built for eternity” because it is built on God. It’s not built by a complex program, combining cunning, strength, humiliation and arrogance, but simply the tenderness, patience, gentleness and love of a woman.
While living in a country occupied by the Roman authorities, in a small town in the hinterland of Galilee, unknown to all, Mary says ‘Yes’ to God. And this welcome into the heart of the troubled, broken world in which she lived, and in which we still find ourselves, heralds the birth of a new order, which she proclaims in her song of joy, the Magnificat: “God overthrows the mighty from their thrones, and exalts the humble.” Since Mary’s “Yes”, wherever we are, in joy or sorrow, in celebration or mourning, God germinates within us as a presence and a promise of peace and joy, not only for ourselves but also for others, provided we rely on him. By trusting him together we can allow him to grow within us. The Christmas season gives us plenty of opportunities to do just that, both here in the church and around us, forming warm homes for one another through our attention, our listening, our service. It is only in the night, in the darkest hours of the year, tonight, that God will come to dwell among us fully, born anew.
The whole of creation and the world today are in ruins, just as they were when the angel Gabriel came to bring Mary this unheard-of news. War is being waged on creation everywhere, and the Palestinian Christians in Bethlehem won’t be celebrating Christmas as usual this year. The Church, too, is in a shambles. But even in this world, even in our broken relationships with one another, God shows us in Mary that by welcoming one another, we can give birth to a new family over which death will ultimately have no power. A house that time and hate cannot destroy. And this new family begins very small, in the trust of a woman two thousand years ago. In our trust today. In Jesus, whom we receive within us at this altar, we are given the gift of forming a welcoming home so that God and each of us can find peace and healing in the heart of this world, in the heart of this city. Here, right now, in the cold of winter, a warm asylum for one another is germinating within us. Only love here on earth can restore God’s house, creation, world and church. Only love, when it becomes flesh and blood in our relationships, in our welcoming and open community, enables us to live with God. Only love can form among us a place where we love to come and return, just as we love to come home after a long day, after a long journey.