sermons

Le 2e dimanche de Pâques                                                                                 le 7 avril 2024

Ce dimanche est un dimanche assez spécial dans l’année. Comme il vient après la Semaine sainte et Pâques, c’est presque une tradition que les bancs soient assez clairsemés… Que vous soyez venus ce matin ou que vous soyez restés au lit, vous vous êtes peut-être posé cette même question : est-ce que vaut le coup d’y aller aujourd’hui ? Après tout, le Christ est ressuscité, la bataille est gagnée, le monde et l’Église peuvent reprendre leur petite routine.

Ce qui est assez drôle c’est que le calendrier liturgique, qui suit les évènements arrivés après la Résurrection du Christ que nous avons célébrée dimanche dernier semble presque tenir compte de nos états d’âme, de nos hésitations, de notre lassitude. Car ces hésitations, les premiers disciples les ont connues aussi. Comme l’avaient annoncé les femmes qui sont venues au tombeau pour embaumer le corps de Jésus et l’on trouvé vide, Jésus est apparu à ses disciples, bien vivant, le jour même. Il est apparu à ses disciples mais l’un d’entre eux, Thomas, n’était pas là. Et Thomas a de sérieux doutes sur ce que racontent ses condisciples. Peut-être se sent-il blessé d’avoir été oublié par Jésus lui-même. Peut-être ressent-il de la jalousie envers ses frères et sœurs qui, eux, l’ont vu. Dans tous les cas, pour Thomas qui ne l’a pas vu, quelque chose s’est brisé alors que tout après la Résurrection devait être réparé. Il se sent exclu. Il met en doute ce que lui dise ses frères et sœurs. Il doute que Jésus qui est mort est de nouveau vivant.

En français, en anglais comme en grec, le terme « douter » renvoie toujours à l’hésitation entre deux possibilités. Douter a d’ailleurs dans ces trois langues la même racine que le mot “deux”. Douter commence toujours par diviser la réalité, les possibilités en deux. C’est d’ailleurs pour cela que depuis Descartes, une part de doute est le moteur de toute démarche philosophique et scientifique moderne : pour pouvoir établir quelque chose de manière rationnelle, il faut être capable de douter de ce qu’on a reçu pour vrai, de notre expérience première, de notre prêt-à-penser. Le doute permet de nous détacher de nos préjugés, de nos points de vue étriqués.

Si le doute permet d’être sûr, pourquoi a-t-on l’impression que Jésus critique le doute de Thomas quand il lui dit : « Mets ton doigt ici et regarde mes mains ; avance ta main et mets-la dans mon côté. Cesse de douter et crois ! » Il y a peut-être deux réponses à cela. D’abord, je crois qu’il y a une différence fondamentale entre le doute et l’incrédulité. En grec, Jésus ne reproche pas à Thomas de douter. Le mot doute d’ailleurs n’apparaît pas du tout dans notre texte. C’est nous qui l’appliquons à Thomas, pas Jésus. Il ne lui dit pas « cesse de douter et crois ! » mais lui dit « ne sois pas incrédule et crois ! » Car douter, finalement, c’est assez proche de la réalité spirituelle du test, qu’on trouve partout dans la Bible. C’est une réalité qui existe avant même la chute, car Adam et Ève eux-mêmes sont mis à l’épreuve. Ce doute c’est aussi ce test que Jésus lui-même doit traverser au désert quand il est tenté par Satan. Alors non, Jésus ne dit pas à Thomas, de ne pas être testé, de ne pas douter, il lui dit, cesse d’être incrédule, et crois. La réalité du test, du doute sera toujours là, même après la Résurrection, mais au milieu de ce test, de toutes les épreuves de ta vie, il lui dit : crois en moi. C’est la présence-même de Jésus qui montre quelque chose de crucial à Thomas, à savoir qu’être testé, douter de tout, ne peut pas être un mode de vie, cela ne peut pas apporter la paix. Le doute ne tisse pas l’amour. D’ailleurs, en exigeant que Jésus réapparaisse pour lui (ce qu’il va faire) Thomas met à l’épreuve ses frères et sœurs qui l’ont vu, il se coupe lui-même de leur communauté, il n’écoute plus ce que cette venue de Jésus a signifié pour eux : il s’enferme dans son propre monde. Ce que Jésus enseigne à Thomas c’est qu’on ne peut pas traiter les personnes comme des points de vue, des expériences ou des informations. Dieu lui-même, nos frères et sœurs et la création, sont toujours plus que des choses à connaître, à juger et à évaluer selon nos pauvres critères du vrai et du faux, du mauvais et du bon.

C’est un danger qui nous guette tous, aujourd’hui, de nous enfermer dans notre propre monde, de nous rapporter aux autres selon ce que nous savons d’eux, selon ce qu’ils pensent ou qu’ils disent. Cette attitude est en tout point différente de la manière dont Jésus se révèle à Thomas. Le business des médias mainline ou alternatifs nous montre combien il est facile de nous enfermer dans notre propre vision de la réalité en comptant pour peu non seulement le point de vue des autres, mais surtout leurs propres expériences de la réalité, qui ils sont. Comme Thomas nous tendons facilement à laisser notre rapport corrompu, anxieux, à l’information faire écran entre nous et nos frères et sœurs, entre Dieu et nous.

L’historien des idées canadien, Charles Taylor, voit comme une caractéristique de la mentalité moderne de se créer des mondes autoréférentiels. L’univers technique dans lequel nous vivons y participe aussi grandement. Dans une ville comme New-York, il est très difficile de poser ses yeux sur quelque chose qui n’a pas été fait de main d’hommes. Même Central Park est une mise-en-scène paysagée ! Pourtant même dans cette réalité dans laquelle nous nous enfermons, Jésus peut venir à nous si nous le laissons venir, si, comme Thomas, nous l’appelons. Il peut venir nous libérer des tombeaux dans lesquels nous nous enfermons. Aujourd’hui, comme au temps de Thomas, la seule manière d’être libéré de ces tombeaux c’est le corps du Christ lui-même, ce corps qui en a réchappé. Mais, vous me direz peut-être, où le voit-on aujourd’hui ce corps que Thomas lui-même a cherché ? Ici. Dans l’Église, dont les murs, nous montre Jésus, sont bien plus poreux que les parois des bâtiments et des communautés qu’un appelle « église ». C’est comme Thomas, en touchant le corps blessé mais ressuscité de Jésus, dans le service, l’écoute, le partage, la curiosité envers ceux qui nous entourent que nous pouvons au cœur des épreuves, par delà le doute, recevoir une paix que rien, pas même la mort et ses avatars, ne peuvent nous ravir.

Le corps du Christ, nous ne le touchons pas seulement dans l’Église, nous le sommes et nous pouvons l’être pour les autres. Ce qui nous mène ensemble de l’angoisse à la paix, ce n’est pas d’être sûr de faire de bons choix, de ne jamais douter, mais c’est de nous mettre en contact, d’être en corps-à-corps avec cet incroyable mystère que sont les créatures de Dieu dont les souffrances, les joies, les épreuves nous témoignent que Dieu est vivant. Être en contact avec la réalité du monde crucifié et ressuscité c’est ce qui nous nous tire de l’isolement, de ce sentiment d’exclusion, de néant. Dans ce corps ressuscité, les plaies ne peuvent plus nous tuer : elles sont nos remèdes, elles nous encouragent. Elles nous font apercevoir, à travers elles, un monde nouveau. Ces plaies glorieuses nous font grandir dans une nouvelle vie, la vie ressuscitée.

Alors qu’il était testé, qu’il doutait, Thomas a continué à s’assembler avec les disciples et sa persévérance a porté des fruits au-delà de tout ce qu’il aurait pu imaginer. Car c’est celui qui était testé, qui a eu le privilège, seul entre tous, non seulement de voir, mais aussi de toucher Jésus. Celui qui s’est senti exclu, left out, est celui qui, entre tous les disciples assemblés ce jour-là, a été au plus proche du Ressuscité. La tradition rapporte d’ailleurs que Thomas allé jusqu’en Inde et peut-être même en Chine partager cette Bonne nouvelle qu’il avait touché de ses mains. Celui qui était le plus testé est allé le plus loin.

JFAB

 

Easter II | April 7, 2024
Acts 4:32-35, Psalm 133, 1 John 1:1-2:2, John 20:19-31

This Sunday is a rather special one in the year. Coming as it does after Holy Week and Easter, it’s almost a tradition for the pews to be pretty empty… Whether you came this morning or stayed in bed, you may have asked yourself the same question: is it worth going today? After all, Christ is risen, the battle is won, the world and the Church can get on with their little routines.

The funny thing is that the liturgical calendar, which follows the events that took place after Christ’s Resurrection that we celebrated last Sunday, almost seems to take our moods, our hesitations and our weariness into account. Because the first disciples also experienced these hesitations. Jesus appeared to his disciples, alive and well, that very day; as foretold by the women who came to the tomb to embalm Jesus’ body and found it empty. He appeared to his disciples, but one of them, Thomas, was not there. And Thomas has serious doubts about what his fellow disciples are saying. Perhaps he feels wounded at having been forgotten by Jesus himself. Maybe he’s jealous of his brothers and sisters who did see him. In any case, for Thomas (who has not seen him), something is broken when everything after the Resurrection was supposed to be repaired. He feels excluded. He doubts what his brothers and sisters are telling him. He doubts that Jesus who died is alive again.

In French, English and Greek, the word “douter” always refers to hesitation between two possibilities. In all three languages, doubt has the same root as the word “two”, (or double). Doubting always begins by dividing reality and possibilities in two. That’s why, ever since Descartes, an element of doubt has been the driving force behind all modern philosophical and scientific endeavors: to be able to establish something rationally, we need to be able to doubt what we’ve been led to believe to be true, our primary experience, our ready-made thoughts. Doubt enables us to detach ourselves from our prejudices, our narrow points of view.

If doubt allows us to be sure, why do we get the impression that Jesus criticizes Thomas’ doubt when he says to him: “Put your finger here and look at my hands; put your hand forward and put it in my side. Stop doubting and believe!”? There are perhaps two responses to this. First, I believe there is a fundamental difference between doubt and unbelief. In Greek, Jesus does not reproach Thomas for doubting. In fact, the word doubt does not appear at all in our text. We apply it to Thomas, not Jesus. He doesn’t say “stop doubting and believe”, but rather “don’t be unbelieving and believe”. Because doubting, after all, is pretty close to the spiritual reality of testing, which we find throughout the Bible. It’s a reality that exists even before the Fall, as Adam and Eve are themselves put to the test. This doubt is also the test that Jesus himself must undergo in the desert when he is tempted by Satan. So no; Jesus doesn’t tell Thomas not to be tested, not to doubt, he tells him, stop being unbelieving, and believe. The reality of the test, of doubt, will always be there, even after the Resurrection, but in the midst of this test, in the midst of all the trials of your life, he says to him: believe in me. It is the very presence of Jesus that shows Thomas something crucial, namely that being tested, doubting everything, cannot be a way of life, it cannot bring peace. Doubt does not weave love. Moreover, by demanding that Jesus reappear for him (which he will do), Thomas puts his brothers and sisters who have seen him to the test, cuts himself off from their community; he no longer listens to what Jesus’ coming has meant for them: he locks himself into his own world. What Jesus teaches Thomas is that we cannot treat people as points of view, experiences or information. God himself, our brothers and sisters and creation, are always more than things to be known, judged and evaluated according to our poor criteria of right and wrong, bad and good.

It’s a danger we all face today, to shut ourselves away in our own world, to relate to others according to what we know about them, what they think or say. This attitude is completely different from the way Jesus reveals himself to Thomas. The mainline or alternative media business shows us how easy it is to lock ourselves into our own vision of reality, not just discounting the point of view of others, but above all discounting their own experiences of reality, and even who they are. Like Thomas, we tend easily to let our corrupted, anxious relationship with information act as a screen between us and our brothers and sisters, between us and God.

The Canadian historian of ideas, Charles Taylor, sees it as a characteristic of the modern mentality to create self-referential worlds. The technical world in which we live also plays a major role. In a city like New York, it’s hard to look at anything that hasn’t been made by human hands. Even Central Park is a landscaped mise-en-scène! Yet even in this reality in which we shut ourselves up, Jesus can come to us if we let him, if, like Thomas, we call him. He can free us from the tombs in which we shut ourselves. Today, as in Thomas’ time, the only way to be freed from these tombs is through the body of Christ himself, the body that has escaped them. But, you may ask, where do we see this body that Thomas himself sought today? Here. In the Church, whose walls, Jesus shows us, are far more porous than the walls of the buildings and communities we call “church”. Like Thomas, by touching the wounded but risen body of Jesus, by serving, listening, sharing and being curious about those around us, we can, in the midst of trials and doubts, receive a peace that nothing, not even death and its avatars, can take away from us.

We don’t just touch the body of Christ in the Church, we are it, and we can be it for others. What leads us together from anguish to peace is not to be sure of making the right choices, never to doubt, but to put ourselves in contact, to be hand-in-hand with this incredible mystery of God’s creatures, whose sufferings, joys and trials testify to us that God is alive. Being in touch with the reality of the crucified and risen world is what pulls us out of isolation, out of a feeling of exclusion, of nothingness. In this resurrected body, wounds can no longer kill us: they are our remedies, they encourage us. Through them, they give us a glimpse of a new world. These glorious wounds make us grow into a new life; the resurrected life.

While he was tested, while he doubted, Thomas continued to gather with the disciples, and his perseverance bore fruit beyond anything he could have imagined. For it was he who was tested, who had the privilege, alone among all, not only of seeing, but also of touching Jesus. The one who felt excluded, left out, was the one who, among all the disciples gathered that day, was closest to the Risen One. Tradition has it that Thomas went as far as India, and perhaps even China, to share the Good News he had touched with his hands. He who was most tested went furthest.

JFAB