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1er dimanche de Carême

Depuis mercredi dernier, nous sommes entrés dans une nouvelle saison, un nouveau temps de l’Église qu’on appelle le Carême ou Lent en anglais. Le mot Carême vient du latin pour quarante car cette saison va durer quarante jours. Quarante jours car comme nous l’avons entendu dans l’Évangile d’aujourd’hui c’est le temps que Jésus a passé dans le désert de Palestine, après son baptême dans le Jourdain et avant de commencer son ministère public. La manière dont Marc nous raconte le séjour de Jésus au désert est particulièrement intéressante par son manque de détails. Contrairement aux autres Évangélistes, Marc ne nous parle pas de la nature des tentations qui assaillent Jésus, le mot n’y apparaît même pas. Ce qui est dit c’est que « aussitôt après » son baptême, « l’Esprit le pousse dans le désert », il y reste « pendant quarante jours et il est mis à l’épreuve par Satan. » Rien ne nous est dit sur ces tentations, et encore moins sur la manière dont Jésus y résiste ! C’est assez décevant pour nous qui aimons-nous chercher à nous améliorer en disséquant nos défauts ou en coupant nos actions en petits morceaux pour pouvoir les examiner et les soigner individuellement. Et pourtant c’est peut-être justement dans ce qui nous apparaît comme un manque de sérieux, de méthode, d’analyse et de procédure, que l’Évangéliste veut nous apprendre à faire face aux épreuves que nous rencontrons et à les surmonter.

Le danger avec tout diagnostic d’une maladie ou toute analyse d’une situation, qu’elle soit d’ordre physique, moral ou spirituel, c’est qu’en assignant un « ennemi à abattre » on se trompe souvent de cible. Les exemples ne manquent pas… que ce soit en matière de politique, d’économie ou de médecine. En diagnostiquant trop rapidement avec notre faible jugement et nos passions un mal à combattre, on risque souvent de passer à côté de la véritable cause d’une maladie. Pire, on risque d’être dupé par ce mal plus que de le vaincre et de finir par faire mourir le malade ! C’est un danger que courent tous les médecins et c’est pour ça que leurs assurances sont si chères. C’est aussi un danger que nous courons toujours quand nous voulons partir en croisade contre tel ou tel péché, personnel ou sociétal. La sagesse de Marc dans son Évangile, est de nous montrer que ce n’est pas le diagnostic, ni la méthode qui nous sauve. Du moins ce n’est pas l’essentiel, l’agent principal. Aussi contre-intuitif que cela puisse paraître, ce qui nous aide à traverser l’épreuve, c’est le désert lui-même, l’écart, la prise de distance dans lequel quelque chose peut être entendu. Ce n’est pas de disséquer ce que nous croyons être mal qui nous aide à gagner le bien mais plutôt, comme le Christ nous le montre au désert, de relever notre nez de notre guidon, de regarder au-delà, par delà nos intérêts personnels, par-delà nous-mêmes. Ce qui nous guérit c’est de nous reposer sur l’au-delà, sur Dieu lui-même et ce qu’il nous donne de secours.

On le voit tous les jours, le péché, le mal, le Satan manquent mortellement de créativité. Toutes les personnes qui souffrent d’addiction en parlent : ce qui est terrible dans les addictions ou les pensées obsessives c’est qu’on retombe toujours dans la même chose, il n’y a plus d’espace pour la vie car il n’y a plus d’avenir, il n’y a plus de place pour l’autre ou pour autre chose. Le péché n’a rien de fascinant, au contraire, c’est la chose la plus barbante qui existe ! mais grâce à Dieu nous ne sommes pas condamnés à cet éternel ennui. En entrant dans le Christ, en avançant à son rythme, Dieu nous forme en une nouvelle vie. Comme on le voit dans l’histoire du Déluge, Dieu n’en finit pas d’être le créateur et notre péché ne l’arrête pas. Il trouve un moyen de faire quelque chose de vivifiant, de beau, de bon de tout le mal que nous faisons ou avons fait, si nous le laissons faire, si nous collaborons avec lui, si nous nous mettons en contact avec sa créativité. C’est l’image qu’il donne en accrochant son arc dans le ciel. Cet arc si beau et si coloré, il nous le donne comme symbole de sa compassion pour nous. Beaucoup de personnes qui ont souffert d’addiction disent que si elles ont réussi à s’en sortir c’est parce qu’elles ont appris à ne plus avoir honte de leur faiblesse, mais l’ont vue comme quelque chose qui les liait à toutes les personnes qui souffrent et leur permettait aussi de les aider.

Pour collaborer à cette guérison que Dieu nous donne, nous regarder nous-mêmes est ennuyeusement insuffisant. Si nous regardons nos péchés sans regarder la compassion pleine de créativité de Dieu, nous tomberons à pic dans un abyme de désespoir comme des pierres jetées au fond du Jourdain. Pendant ce Carême laissons-nous donc guider par Dieu lui-même, comme Noé, comme Jésus l’ont été. Ecoutons ce Dieu qui dit à chacun d’entre nous en Jésus Christ, tout personnellement, « Tu es mon enfant bien-aimé ; en toi je trouve toute ma joie. » Rappelons-nous ce Carême que c’est tout mouillé des eaux de son baptême, de cette promesse d’amour inconditionnel, que le Christ est entré au désert. Il n’est pas venu au désert avec un programme d’amélioration personnel, anxieux à cause du péché du monde qu’il connaissait mieux que personne. Il est entré au désert mouillé de cette eau qui nous donne part à sa mort et sa résurrection, cette eau qui nous fera fleurir.

Alors à chaque fois que nous voulons regarder nos péchés, regardons d’abord à Jésus, voyons le péché mouillé de l’eau de son baptême. Avant d’entrer en discussion avec nos tentations, écoutons sa parole. Avant de suivre le sombre chemin de la honte, suivons Jésus lui-même qui brille dans le désert. Et souvenons-nous qu’en Jésus nous ne sommes jamais seuls dans ce désert car l’Esprit de Dieu nous y mène et nous y donne les animaux et les anges comme compagnons. Et rappelons-nous que nous entrons dans ce désert avec toutes celles et tous ceux qui ont franchi les eaux du baptême, nos frères et sœurs en Christ, l’Église de tous les âges. Prions pour que Jésus lui-même soit notre manne dans ce désert, notre nourriture, qui nous fait grandir à son image. Notre force, notre vertu, c’est lui. Avant de nous aventurer à la recherche de notre propre nourriture spirituelle, recevons-le dans la Communion. Rappelons-nous enfin ce Carême que la bataille est gagnée ; laissons-nous porter sur les eaux comme l’arche, laissez-vous pousser par l’Esprit Saint à travers ce désert.

Vous pouvez avoir confiance que vous rencontrerez au désert non seulement la compassion de Dieu, mais aussi celle de toute votre famille qu’est l’Église. Nos déserts sont loin d’être vides ! Comme ceux qui sont montés dans l’Arche avec les animaux, nous ne sommes pas sauvés seuls. La création et les autres créatures sont là pour nous aider dans ce voyage, et nous pouvons prendre le temps d’être avec elles ; elles nous enseignent aussi la compassion et l’amour de Dieu, et elles peuvent aussi nous protéger des épreuves de Satan. L’Église est une arche sûre pour nos faiblesses, nos doutes et nos fragilités. Ici, dans cette arche, nous pouvons être fragiles et trouver des remèdes pour nos blessures, dans l’amour de nos frères et sœurs et dans les sacrements de l’Église. Entrons donc dans ce Carême comme nous sommes entrés dans les eaux du Jourdain, par le baptême de Jésus.

 

Je conclurais en vous racontant ce qu’une bonne sœur m’avait dit un jour, pendant une retraite spirituelle. Je lui posais des questions sur la vie en communauté et elle m’avait répondu que vivre en communauté c’était un peu comme être des cailloux dans une rivière. Le courant vous porte et vous frotte les uns aux autres. C’est difficile parfois, ça fait mal s’il y a du courant. Le monde dans lequel nous vivons, notre vie ensemble, nos vies en communautés sont également pleines de chocs. Mais à mesure que nous affrontons les difficultés de ce monde, les uns et les autres, nous devenons aussi plus lisses et doux. Alors ne restons pas sur la rive, à nous apitoyer de nos aspérités, nos côtés mal dégrossis. Comme des galets dans le Jourdain, ce Carême, laissons-nous porter par le courant. Il est assez fort pour ça. Le chemin pour être complètement guéri, arrondi, se trouve au fond de l’eau, ici. On pourra bientôt servir à paver le salut du monde.

Lent I

Last Wednesday, we entered a new season, a new time of the Church called Lent; le Carême en français. The word Carême comes from the Latin for forty, because this season will last forty days. Forty days because, as we heard in today’s Gospel, that’s how long Jesus spent in the desert of Palestine after his baptism in the Jordan and before beginning his public ministry. Mark’s account of Jesus’ time in the desert is particularly interesting for its lack of detail. Unlike the other Evangelists, Mark doesn’t tell us about the nature of the temptations that beset Jesus; the word doesn’t even appear. What he does say is that “immediately after” his baptism, “the Spirit drove him into the desert”, where he remained “for forty days and was put to the test by Satan.” Nothing is said about these temptations, and even less about how Jesus resists them! This is rather disappointing for us, who like to seek to improve ourselves by dissecting our faults or cutting our actions into small pieces so that we can examine and heal them individually. But perhaps it is precisely in what appears to us to be a lack of seriousness, method, analysis and procedure, that the Evangelist wants to teach us how to face and overcome the trials we encounter.

The danger with any diagnosis of an illness or analysis of a situation, whether physical, moral or spiritual, is that by assigning an “enemy to be slaughtered” we often hit the wrong target. There’s no shortage of examples of this in politics, economics, and medicine. If we are too quick to diagnose an ailment with our poor judgment and passions, we often run the risk of missing the real cause of an illness. Worse still, we run the risk of being fooled by the disease rather than overcoming it and we end up with the patient dying! It’s a danger that all doctors run, and it’s why their insurance policies are so expensive. It’s also a danger we always run when we want to crusade against this or that sin, personal or societal. Mark’s wisdom in his Gospel is to show us that it’s neither the diagnosis nor the method that saves us. At least, it’s not the main thing, the main agent. Counter-intuitive as it may seem, what helps us through the ordeal is the desert itself, the gap, the distancing in which something can be heard. It’s not by dissecting what we believe to be wrong that will help us win the good, but rather, like Christ, lifting our nose from the grindstone, looking beyond, beyond our personal interests, beyond ourselves. We are healed when we rely on the beyond, on God himself, and on the help he gives us.

As we see each and every day, sin, evil and Satan are fatally lacking in creativity. Everyone who suffers from addiction talks about it: the terrible thing about addictions or obsessive thoughts is that you always fall back into the same thing, there’s no more space for life because there’s no more future, there’s no more room for the other or for anything else. There’s nothing fascinating about sin; on the contrary, it’s the most boring thing there is! But thanks to God, we’re not condemned to this eternal boredom. By entering into Christ, by moving forward at his pace, God shapes us into a new peace. As we can see in the story of the Flood, God never stops being the creator, and our sin doesn’t stop him either. if we let him, if we collaborate with him, if we put ourselves in touch with his creativity, he finds a way to make something life-giving, beautiful, good out of all the evil we do or have done. This is the vivid image he gives when he hangs his rainbow in the sky. He gives us this beautiful, colorful bow as a symbol of his compassion for us. Many people who have suffered from addiction say that if they’ve managed to pull through, it’s because they’ve learned not to be ashamed of their weakness, but to see it as something that links them to all those who are suffering and enables them to help them in their turn.

To cooperate in this healing that God offers us, looking at ourselves is annoyingly insufficient. If we look at our sins without looking at God’s creative compassion, we’ll fall flat on our faces into an abyss of despair, like stones thrown to the bottom of the Jordan. This Lent, then, let us allow ourselves to be led by God himself, as Noah and Jesus were. Let us listen to this God who says to each of us in Jesus Christ, very personally, “You are my beloved child; in you I find all my joy.” Let’s remember this Lent that Christ entered the desert wet with the waters of his baptism, with this promise of unconditional love. He didn’t come to the desert with a program of self-improvement, anxious about the sinfulness of the world that he knew better than anyone. He entered the desert wet with the water that gives us a share in his death and resurrection, the water that will make us grow and blossom.

So, whenever we want to look at our sins, let’s first look to Jesus, to see sin wet with the water of his baptism. Before we enter into discussions with our temptations, let’s listen to his word. Before we follow the dark path of shame, let us follow Jesus himself as he shines in the desert. And let us remember that in Jesus we are never alone in this desert, for the Spirit of God leads us there and gives us both animals and angels as companions. And let us remember that we enter this desert with all those who have passed through the waters of baptism, our brothers and sisters in Christ, the Church of all ages. Let us pray that Jesus himself will be our manna in this desert, our food, causing us to grow in his image. He is our strength, our virtue. Before we venture out in search of our own spiritual nourishment, let us receive him in Communion. Finally, let us remember this Lent that the battle is won; let us be carried on the waters like the ark, let the Holy Spirit push us through this desert.

You can be confident that in the desert you will find not only God’s compassion, but that of your whole family, the Church. The desert is far from empty! Like those who boarded the Ark with the animals, we are not saved alone. Creation and other creatures are there to help us on this journey, and we can take time to be with them; they also teach us about God’s compassion and love, and they can also protect us from Satan’s trials. The Church is a safe ark for our weaknesses, our doubts, and our fragility. Here, in this ark, we can be fragile and find remedies for our wounds, in the love of our brothers and sisters and in the sacraments of the Church. So let us enter this Lent as we entered the waters of the Jordan through the baptism of Jesus.

I’d like to conclude by telling you what a good sister once said to me during a retreat, when I was asking her about community life. She told me that living in community is a bit like being pebbles in a river. The current carries you along and rubs you up against each other. It’s hard sometimes, it hurts if there’s a current. The world we live in, our lives together, our lives in communities are also full of shocks. But as we face the difficulties of this world, one and all, we also become smoother and gentler. So, let’s not stand on the shore, wallowing in our rough edges. Like pebbles in the Jordan this Lent, let’s let the current carry us. It’s strong enough for that. The way to be completely healed, rounded, lies at the bottom of the water, here. And we’ll soon be able to help pave the way for the world’s salvation.