Pentecôte XIV                                                                                                    le 11 Septembre 2022

Quelques jours après mon arrivée à Boston en 2016 alors que j’étais venu un an pour y enseigner le français et que je ne connaissais personne aux États-Unis, mon portefeuille et mon passeport ont disparu. J’ai eu beau retourner exactement où j’étais passé, aller à la police… Rien. Rien. J’ai perdu les papiers et la carte bancaire dont j’avais le plus besoin pour trouver un logement, me nourrir et prouver mon identité dans un pays étranger.

Dans ces deux paraboles que nous venons d’entendre le Christ nous parle aussi d’un mouton et d’une pièce qui ont été perdus. Mais contrairement à moi ces jours-là, et comme c’est souvent le cas quand on perd quelque chose, le Christ n’est pas du tout intéressé à chercher les raisons pour lesquelles ce mouton et cette pièce ont été perdus, ni comment ça s’est passé. Le mouton a-t-il eu peur d’un prédateur ? Le berger a-t-il été inattentif ? La femme avait-elle mal rangé ses pièces ? Rien. Le Christ ne nous donne aucun indice pour chercher à réparer la catastrophe nous-mêmes.

Il ne nous précise pas la manière, ni les coupables, ni les circonstances qui ont conduit à la perte de ce mouton et de cette pièce. Notre logique d’accusation, de nous-mêmes et des autres, celle qui consiste à chercher l’endroit où se trouve la faute ne marche pas dans ces paraboles. Pas plus que notre logique de la repentance ! On n’entend pas la femme soupirer ni le berger s’accuser. Qui, d’ailleurs, a déjà vu un mouton ou une pièce venir se repentir de s’être perdu loin de leurs propriétaires légitimes ? Ce qui, au passage serait assez pratique ! En fait, par ces paraboles incongrues Jésus Christ nous annonce à même une situation assez banale une très bonne nouvelle pour nous qui nous inquiétons sans cesse : la façon dont nous péchons, les raisons pour lesquelles nous nous perdons ne sont pas cruciale aux yeux de Dieu.

Dans l’Ancien Testament, la perte de quelque chose est toujours assimilée à un éloignement de Dieu et du reste de la création, à commencer par nos frères et sœurs humains. Quand Adam et Eve perdent leur chez-eux en Eden, eux-mêmes et leurs descendants deviennent de plus en plus étrangers et hostiles les uns vis-à-vis des autres et de la Création. Alors Dieu essaie d’y remédier par la loi en donnant à chaque faute une réparation pour tenter de rétablir une certaine communion… mais, comme nous le savons, toutes les lois du monde n’arrêteront jamais les voleurs… C’est la vie et le ministère de Jésus Christ qui sont la réponse de Dieu lui-même à cette situation catastrophique. Car, par son exemple et ses enseignements, par sa présence, il réoriente et transforme de fond en comble cette logique mortifère de la perte et de la réparation utile à tous ceux qui veulent dominer. Avec le berger et la femme, il nous montre que cette perte mortifère, qui est réelle, n’a pourtant pas de prise sur ceux qui sont justement prêts à ne pas se regarder le nombril mais à se perdre en Dieu, le voyant dans tout ce qui leur arrive, même leur perte. Il nous montre que même dans l’erreur, même dans le manquement, la communion d’amour que Dieu nous offre est toujours là et veut incessamment nous retrouver.

L’attitude du berger et de la femme par rapport à leur perte incarne de manière extraordinaire cette attitude divine que Dieu partage ! Quel berger irait chercher ses amis, ses voisins, ses collègues pour leur dire qu’il a perdu son mouton ? Quelle ménagère respectable irait crier sur tous les toits qu’elle a perdu son argent, en plus, chez elle ? Ils passeraient tous les deux pour des idiots ou des incompétents. L’une comme l’autre s’attirerait des rires et des sarcasmes ! Mais c’est pourtant cet exemple que nous donne le Christ ! Par leur joie librement partagée, leur spontanéité, le berger et la femme transforment en une occasion de fête et de communion ce qui pour nous autres est souvent source de honte ou de moquerie, deux attitudes qui divisent et qui aigrissent. « Réjouissez-vous avec moi » disent-ils « car j’ai retrouvé ce que j’avais perdu ! »

Le Ciel se réjouit avec les personnes qui sont prêtes à paraître ridicules aux yeux de leurs proches en manifestant un authentique enthousiasme pour ce qui a de la valeur. Et ce qui a de la valeur aux yeux de Dieu c’est avant tout notre communion avec lui et entre nous. C’est pourquoi Dieu aime celles et ceux qui n’ont pas peur de perdre leur réputation, leur identité, leur temps, leurs biens pour l’aider à former une communauté où tout ce que nous sommes est le bienvenu. Tout, sans retour, sans scrupules, sans préjugés. Tout, même nos erreurs. Pour entrer en communion avec Dieu de cette façon, et avec nos frères et sœurs, pas besoin de passeport, de partager une seule culture, une seule langue, ou la même confession. Il faut seulement que nous nous laissions trouver par lui et par vos frères et sœur, ici, où nous sommes, et que nous soyons prêts à nous perdre en son amour pour chacun d’entre nous.

Se perdre activement de cette manière prend le contre-pied de nos logiques humaines de préservation, de nos logiques de chiens de garde, de nos logiques de communauté exclusive (qui souvent d’ailleurs se disent inclusives !) Car dans l’Eucharistie c’est Dieu qui vient nous chercher. C’est parce qu’il nous retrouve que tout le monde peut se retrouver. La seule chose qui peut maintenir notre espérance et notre joie dans ce monde ce n’est pas de retrouver un passeport, un amour, un idéal ou un mouton de perdu ou encore de corriger des erreurs en espérant devenir parfaits. La seule chose qui peut nous donner de l’espérance c’est de nous retrouver tous ensemble en nous rendant compte que cette communion éternelle a vraiment besoin, pour s’étendre, d’hommes et de femmes courageux, comme vous ici ce matin. Oui, la communion est l’œuvre de tous comme nous le montre tous nos frères et sœurs fidèles, comme nous le montre des vies comme celle d’Elie Neau dont nous avons commémoré la mémoire la semaine dernière. Laïc comme nous. De cette église, comme nous. Il a non seulement quitté son pays pour pouvoir vivre selon l’Evangile mais aussi quitté notre Eglise, ses compatriotes, son troupeau, pour partir à la recherche de ceux qui lui étaient chers et qui l’on humiliait et rejetait. Nous avons des amis au ciel et sur la terre qui nous encouragent et se réjouissent sans cesse avec nous et avec les anges quand nous nous offrons pour la communion de tous. Alors, bon retour à tous, une communion sans frontières vous attend ici, une communion pour laquelle aucun passeport n’est requis !

JFAB

Pentecost XIV
September 11th 2022
Jeremiah 4:11-12,22-28; Ps. 14; 1 Timothy 1:12-17; Luke 15 :1-10

A few days after my arrival in Boston in 2016, where I had come for a year to teach French, and when I didn’t know anyone in the United States, my wallet and my passport disappeared. It was no use going back to exactly where I had been, going to the police… Nothing. Nothing. I had lost the papers and the debit card that I needed the most to find accommodation, buy groceries and prove my identity in a foreign country.

In these two parables we just heard Christ also tell us about a sheep and a coin that got lost. But unlike me on those days, and as is often the case when we lose something, Christ is not at all interested in trying to find out why that sheep and coin were lost, or how that happened. Was the sheep afraid of a predator? Was the shepherd inattentive? Had the woman misplaced her coins? Nothing. Christ gives us no clues to seek to repair the catastrophe ourselves.

He does not tell us how, nor the culprits, nor the circumstances that led to the loss of this sheep and this coin. Our logic of blaming ourselves and others, of looking for where the fault lies, does not work in these parables. No more than our logic of repentance! You don’t hear the woman sigh or the shepherd accusing himself. Who, moreover, has ever seen a sheep or a piece come to repent of having been lost far from their rightful owners? Which, by the way, would be quite handy! In fact, through these incongruous parables, Jesus Christ announces to us, even in a fairly banal situation, very good news for us who worry constantly: the way in which we sin, the reasons for which we get lost is not crucial in the eyes of God.

Yet in the Old Testament, the loss of something is always equated with a distancing from God and from the rest of creation, beginning with our human brothers and sisters. When Adam and Eve lose their home in Eden, they and their descendants become increasingly estranged and hostile to each other and to Creation. So God tries to remedy it with the law giving every fault a reparation to try to restore some communion… but, as we know, all the laws in the world will never stop the thieves…The life and ministry of Jesus Christ come as God’s personal response to this catastrophic situation. Because, by his example and his teachings, by his presence, Christ reorients and transforms from top to bottom this deadly logic of loss and reparation useful to all people eager to dominate. With the shepherd and the woman, he shows us that this deadly loss, which is real, nevertheless has no hold on those who are precisely ready not to gaze at their navel but to lose themselves in God, seeing him in everything that happens to them, even their loss. He shows us that even in erring, even in failing, the communion of love that God offers us is always there and constantly backs us up.

The attitude of the shepherd and the woman towards their loss embodies in an extraordinary way this divine attitude that God shares! What shepherd would seek out his friends, his neighbors, his colleagues to tell them that he has lost his sheep? What respectable housewife would shout from the rooftops that she lost her money in her own home? They would both pass for idiots or incompetents. One like the other would attract laughter and sarcasm! But it is this example that Christ gives us! By their freely shared joy, their spontaneity, the shepherd and the woman transform into an occasion of celebration and communion what for the rest of us is often a source of shame or mockery, two attitudes that divide and embitter. “Rejoice with me,” they say, “for I have regained what I lost!” »

Heaven rejoices with people who are willing to appear ridiculous to those around them by showing genuine enthusiasm for what is worth it. And what has value in the eyes of God is above all our communion with him and between us. This is why God loves those who are not afraid to lose their reputation, their identity, their time, their goods to help him form a community where all that we are is welcome. Everything, without return, without scruples, without prejudice. Everything, even our mistakes. To enter into communion with God in this way, and with our brothers and sisters, there is no need for a passport, to share a single culture, a single language, or the same confession. We just need to allow ourselves to be found by him and by your brothers and sisters here, where we are, and be ready to lose ourselves in his love for each one of us.

To lose oneself actively in this way runs counter to our human logics of preservation, our logics of watchdogs, our logics of exclusive community (which moreover often claim to be inclusive!) Because in the Eucharist it is God coming for us. It is because he finds us that everyone can find each other. The only thing that can maintain our hope and our joy in this world is not to find a passport, a love, an ideal or a lost sheep or even to correct errors hoping to become perfect, however worthy and correct we are. The only thing that can give us hope is to find ourselves together realizing that this eternal communion really needs, in order to expand, courageous men and women, like you here this morning. Yes, communion is everyone’s work, as all our faithful brothers and sisters show us, as lives like Elie Neau’s shows us, whose memory we commemorated last week. A lay person, like us. From this church, like us. He not only left his country to be able to live according to the Gospel, but also left our Church, his compatriots, his flock, to go in search of those who were dear to him and who were humiliated and rejected. We have friends in heaven and on earth who continually encourage us and rejoice with us and with the angels when we offer ourselves for the communion of all. Welcome back everyone, a borderless communion is waiting for you’re here, a communion into which you need no passport!

JFA