Le 24e dimanche après la Pentecôte, Propre 27A le 12 novembre 2023
Je crois que c’est très à propos que nous lisions la parabole des dix jeunes filles en ce jour où notre bien-aimé recteur Nigel revient de son congé sabbatique. Comme le marié de la parabole, nous l’avons attendu avec impatience, et nos lampes se sont usées ! Bienvenue Nigel !
Pour commencer, j’aimerais vous poser une question. Est-ce qu’on vous a déjà reproché d’être trop gentil ? Ça m’est arrivé et je dois vous dire que c’est la pire insulte dont j’ai jamais été la victime et que mon cœur en saigne encore aujourd’hui. Pour moi, jamais rien ne vaut de continuer à envenimer une situation si faire le premier pas et sourire en disant que ce n’est pas très grave peut régler le problème. Dans un conflit entre plusieurs amis, j’essayais de tempérer les querelles en écoutant et en relativisant les avis des deux côtés et en disant que l’amitié était plus importante que ces petits malentendus (qui avec le recul semblent très souvent insignifiants !), et c’est à ce moment-là que l’un de mes amis m’a dit : « de toute façon toi Fred, t’es trop gentil », et il a ensuite prononcé cette expression bien française dont vous m’excuserez la vulgarité : « trop bon trop con ». En gros, certaines personnes pensent qu’être gentil, c’est être bête, être idiot. On prendrait trop facilement le risque de se faire marcher dessus, de se faire utiliser, ou pire, on pourrait nous mentir… J’ai malheureusement remarqué qu’aux États-Unis cette mentalité existe aussi, mais sous une autre forme. Certaines personnes disent qu’il ne faut jamais s’excuser ou admettre que l’on a tort. Surement parce qu’ils craignent les procès frivoles… En gros, il faut forcément que quelqu’un ait raison et que quelqu’un ait tort, et s’excuser, ce serait admettre d’avoir tort et donc il faut éviter de le faire à tout prix pour avoir raison… Je pense qu’il est temps de réaliser, surtout dans notre monde actuel, que parfois deux parties peuvent toutes avoir tort tout en ayant toutes les deux raisons. Prendre parti pour l’un en calomniant catégoriquement l’autre n’est pas la seule solution, et encore moins la meilleure.
Jésus dans notre Évangile nous parle de 5 jeunes filles avisées et de cinq jeunes filles imprévoyantes. Elles vont toutes à la rencontre d’un marié pour créer un cortège, comme il en était la tradition lors d’un mariage, mais seulement cinq d’entre elles ont pensé à emporter un peu plus d’huile et elles refusent d’en prêter aux autres par peur de manquer. Celles qui n’avaient pas prévu d’emporter un peu plus d’huile se retrouvent en conséquence bannies du royaume car elles ont raté l’entrée du marié et elles n’ont pas fait partie du cortège. Vous avez surement remarqué que j’utilise la traduction de la Nouvelle Français Courant que nous avons lue quand je parle de cette parabole et que je ne dis pas « les vierges folles » comme dans les anciennes traductions ou comme nous l’avons entendu dans notre cantique un peu daté avant la lecture de l’Évangile. Cette ancienne traduction est malheureusement ancrée dans nos têtes. Je crois que nous avons tous entendu parler ici ou ailleurs de cette parabole avec ce terme. L’un des héritages malheureux de cette traduction est que les gens ont tendance à imaginer ces cinq jeunes filles imprévoyantes comme « frivoles », alors que le texte ne dit jamais ça. Peut-être parce que l’histoire peut aussi nous rappeler la fable de Jean De La Fontaine “La cigale et la fourmi” où la cigale était imprévoyante et a préféré chanter tout l’été plutôt que de faire des provisions pour l’hiver. Il y a aussi quelque chose de très réducteur et connoté de cette « frivolité » dans l’association des mots « vierge » et « folle ». Un peu comme « les femmes pécheresses ». Le mot grec ici pour « folle » ou « imprévoyante » est ‘μωραὶ’. C’est vrai que ce terme vient de la racine qui peut même vouloir dire « idiote » ou « sans tête ». Dans l’ancienne traduction, la « folie », ou bien « l’idiotie » de ces jeunes filles, était opposée à la « sagesse » des cinq autres. Mais en contexte, notre nouvelle traduction parle plutôt de « prévoyance » ce qui fait bien plus de sens quand il s’agit de prévoir d’emporter de l’huile. Si on nous traitait d’idiot à chaque fois que nous oubliions de prévoir quelque chose, je ne pense pas que ça ne nous plairait vraiment…
Alors, comment comprendre cette parabole ? C’est malheureusement à cause de ces anciennes traductions que bien des prédicateurs conservateurs sont trop heureux de se jeter sur cette image pour vous dire que l’huile que les cinq « vierges folles » n’ont pas emportée c’est la foi, et que ces cinq « vierges idiotes » et « frivoles » qui festoient et dansent manquaient de foi et c’est pour ça qu’elles n’ont pas été accueillies par le marié, Jésus. Pour eux, la foi ne peut pas se prêter ; mais en suivant cette interprétation on pourrait en acheter apparemment puisque les jeunes filles prévoyantes les envoient au marché… Donc ils interprètent cette parabole pour les membres de l’Église aujourd’hui en sous-entendant que ceux qui ne vont à l’Église que pour faire la fête – et si ça s’adresse aux femmes entre temps ça ne les gêne pas trop non plus – ne seront pas acceptés par Jésus à la fin des temps. On peut facilement imaginer le doigt du prédicateur qui remue en nous disant « Attention ! Ne restez pas enfermés dehors par manque de foi ! Croyez mais ne faites pas trop la fête ! ».
Cependant il faut se demander qui considère les jeunes filles comme imprévoyantes, ou « idiotes » ? Est-ce que c’est vraiment Jésus qui les condamne ? Il ne dit pas aux disciples « ne soyez pas idiots et faites plein de provisions d’huile car vous ne connaissez ni le jour ni l’heure. » Non, il leur dit de « veiller ». Les dix jeunes filles étaient endormies tout autant les unes que les autres, et Jésus lui-même nous dit de nous entraider et de nous réconcilier avant tout en utilisant la même racine que ce mot « idiot » dans le grec juste après les béatitudes que nous avons entendues la semaine dernière : « celui qui dit [à son frère ou à sa sœur] : “Idiot !” mérite d’être jeté dans le feu de l’enfer. Si donc tu viens à l’autel présenter ton offrande à Dieu et que là tu te souviennes que ton frère ou ta sœur a une raison de t’en vouloir, laisse là ton offrande, devant l’autel, et va d’abord faire la paix avec ton frère ou ta sœur ; puis reviens et présente ton offrande à Dieu. »
Alors qui sommes-nous à ce mariage qui représente le Royaume ? Nous ne sommes pas les jeunes filles, nous sommes les invités qui ne sont pas mentionnés, ceux qui sont tous invités. Cependant, l’Avent approche et nous aussi nous ne devons pas oublier de veiller. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut pour autant oublier de nous réconcilier avec nos frères et nos sœurs. Laissons nos lampes s’il le faut, et revenons ensemble avec des amphores d’huile pleines pour veiller aussi longtemps qu’il le faudra, plutôt que de nous juger en nous traitant d’idiots parce que nous ne nous comprenons pas. Que l’huile soit la foi, notre patience, notre amour, ou notre attention dans un monde ou les globes oculaires deviennent l’une des monnaies les plus précieuses, n’hésitons pas à les offrir sans craindre de manquer, car ce ne sont que ces monnaies qui ne fonctionnent pas comme un jeu à somme nulle que Dieu nous demande d’échanger gratuitement tout en veillant. Amen.
FS
Pentecost XXIV
Proper 27A
Sunday, November 12, 2023
Josué 24:1-3a, 14-25, 1 Thessaloniciens 4:13-18, Matthieu 25:1-13
I think it’s very fitting that we’re reading the parable of the ten young women on this day when our beloved rector Nigel returns from his sabbatical. Like the groom in the parable, we’ve waited impatiently for him, and our lamps have worn out! Welcome Nigel!
I’d like to start by asking you a question. Have you ever been criticized for being too nice? It happened to me, and I have to tell you that it was the worst insult I’ve ever been the victim of, and it still makes my heart bleed to this day. For me, there’s nothing worth continuing to aggravate a situation if taking the first step and smiling and saying it’s no big deal can solve the problem. In a conflict between several friends, I was trying to temper the quarrels by listening to and putting into perspective the opinions of both sides and saying that friendship was more important than these little misunderstandings (which in hindsight often seem insignificant!), and it was at this point that one of my friends said to me: “anyway, you know Fred, you’re too nice”, and then he uttered that very French expression, the vulgarity of which you’ll forgive me for saying: “trop bon trop con” (“too nice, too stupid” meaning “too nice for your own good”). Basically, some people think that to be nice is to be stupid, to be an idiot. It would be too easy and we’d run the risk of being stepped on, used, or worse, lied to… Unfortunately, I’ve noticed that this mentality also exists in the United States, but in a different form. Some people say you should never apologize or admit you’re wrong. Surely because they’re afraid of frivolous lawsuits… Basically, someone must be right and someone must be wrong, and to apologize would be to admit to being wrong, so you have to avoid doing that at all costs to be right… I think it’s time to realize, especially in today’s world, that sometimes two parties can be completely wrong while still being right. Siding with one side while categorically slandering the other is not the only solution, and certainly not the best one.
In our Gospel, Jesus tells us of five foresighted young women and five improvident young women. They all go to meet a bridegroom to create a procession, as was the tradition at a wedding, but only five of them have thought to take some extra oil with them, and they refuse to lend any to the others for fear of running out. As a result, the improvident ones who didn’t plan to take extra oil with them find themselves banished from the kingdom, as they missed the groom’s entrance and were not part of the bridal party. You’ve probably noticed that I’m using the NFC Bible translation we’ve been reading when I talk about this parable, and that I don’t say ‘les vierges folles’ (the foolish virgins) as in the old translations or as we heard in our slightly dated hymn before the Gospel reading. That old translation is unfortunately ingrained in our minds. I think we’ve all heard this parable referred to in this way here or elsewhere. One of the unfortunate legacies of this translation is that people tend to imagine these five improvident young women as “frivolous”, whereas the text never says that. Perhaps because the story may also remind us of Jean De La Fontaine’s fable “The Grasshopper and the Ant”, where the grasshopper was shortsighted and preferred to sing all summer rather than stock up for winter. There’s also something very reductive and reminiscent of this “frivolity” in the association of the words “virgin” and “foolish”. A bit like “the sinful women”. The Greek word here for “foolish” or “improvident” is ‘μωραὶ’. It’s true that this term comes from the root which can even mean “stupid” or “headless”. In our old translation, the “foolishness”, or indeed “stupidity” of these young women was contrasted with the “wisdom” of the other five. But in context, our new translation speaks of “foresight”, which makes much more sense when it comes to planning to carry oil. If we were called stupid every time we forgot to plan for something, I don’t think we’d really like it…
So, how do we understand this parable? Unfortunately, it’s because of these old translations that many conservative preachers are all too happy to pounce on this image to tell you that the oil the five “foolish virgins” didn’t carry away is faith, and that these five “foolish” and “frivolous” feasting and dancing virgins lacked faith, and that’s why they weren’t welcomed by the bridegroom, Jesus. For them, faith can’t be lent; but following this interpretation one could apparently buy some since the foresighted young women send them to market… So they interpret this parable for Church members today by implying that those who only go to Church to party – and if it’s addressed to women in the meantime that doesn’t bother them too much either – won’t be accepted by Jesus at the end of time. It’s easy to imagine the preacher’s finger wagging as he tells us “Watch out! Don’t stay locked out for lack of faith! Believe, but don’t party too hard”.
However, we must ask ourselves who considers these young girls to be shortsighted, or “foolish”? Is it really Jesus who condemns them? He doesn’t say to the disciples “don’t be foolish and stock up on oil, for you don’t know the day or the hour.” No, he tells them to “keep watch”. The ten young women were all asleep all the same, and Jesus himself tells us to help and reconcile with one another first and foremost, using the same root as that word “fool” in the Greek right after the beatitudes we heard last week: “Whoever says [to his brother or sister], ‘Fool!” deserves to be thrown into hellfire. So, if you come to the altar to present your offering to God, and there you remember that your brother or sister has a reason to be angry with you, leave your offering there, in front of the altar, and go first to make peace with your brother or sister; then come back and present your offering to God.”
So, who are we at this wedding that represents the Kingdom? We’re not the young women, we’re the guests we don’t hear about, the ones who are all invited. However, Advent is approaching, and we too must not forget to keep watch. But that doesn’t mean we should forget to reconcile with our brothers and sisters. Let’s leave our lamps if we have to and come back together with full amphorae of oil to keep watch for as long as it takes, rather than judging each other by calling each other stupid because we don’t understand each other. Whether the oil is faith, our patience, our love, or our attention in a world where eyeballs are becoming one of the most valued currencies, let’s not hesitate to offer them without fear of running out, for it’s only these currencies that don’t function as a zero-sum game that God asks us to exchange freely while we keep watch. Amen.
FS