Dimanche de la Pentecôte
Ez 37:1-14 ; Actes 2:1-21 ; Jn 15:26-27; 16:4b-15
Quand je prépare un sermon pour St. Esprit, je lis nos lectures du jour en anglais et en français. Si j’en ressens le besoin, je regarde ensuite l’hébreu ou le grec pour explorer dans les langues originelles du texte une expression ou un jeu de mot qui me semblent important. Je me rends compte en général qu’il y a plusieurs sens que la traduction ne traduit pas. Lors de cette petite promenade, Dieu me parle toujours d’une façon nouvelle, il me montre dans ce texte que j’avais déjà lu plusieurs fois, une nouvelle petite fleur à laquelle je n’avais pas prêté attention. C’est souvent autour de cette petite fleur que s’organise tout ce bouquet qu’est un sermon.
Si je passe par toutes ces langues avant d’écrire le sermon ce n’est pas par coquetterie. Ce n’est pas parce que l’Église épiscopale se targue d’être inclusive et multiculturel. L’inclusivité et le multiculturalisme sont aussi l’apanage des empires. Ce n’est pas parce que nous voulons faire parade de notre diversité et de notre inclusivité. On ne pourra d’ailleurs jamais être inclusif aux points de représenter la totalité, si belle, si riche et si variée de la création divine.
Il y a derrière la diversité des langues une malédiction. On pense bien sûr à l’histoire de la tour de Babel, mais c’est une autre malédiction, similaire à celle-ci qui se trouve derrière le texte des Actes des apôtres : l’éparpillement du peuple juifs à travers le monde, sa division. En effet s’il y a autant de langues et de peuples mentionnés dans le récit des Actes, Parthes, Mèdes, Elamites, Judéens, Romains, Galiléens et Arabes c’est parce que les juifs ont dû s’exiler à plusieurs reprises à cause des invasions et de leurs fautes. Etant en minorité dans les pays où ils se sont établis, ils en ont appris les langues. De même aujourd’hui le fait que nous parlions plusieurs langues est la conséquence de péchés ou de malheurs, comme le colonialisme ou de l’imposition d’une langue d’État ou hégémonique. Si nous utilisons le français dans notre liturgie c’est parce que nous sommes depuis 1628, d’une manière ou d’une autre, et comme les juifs venus à Jérusalem pour la Pentecôte, des exilés et des pèlerins sur cette terre.
Pourtant, au jour de la Pentecôte, Dieu transforme ce malheur en une bénédiction. Et cette bénédiction nous manifeste non seulement son amour mais aussi la manière dont il veut que nous participions à son Royaume. Par le don des langues aux disciples, l’Esprit n’impose pas à tous une langue unique. Il ne vient pas non plus bénir un multiculturalisme dont nous forgeons-nous mêmes les termes. Mais l’Esprit emprunte lui-même la voix de chacun pour venir nous rencontrer et nous rassembler. Dieu a, le jour de la Pentecôte fait du malheur de l’éparpillement des juifs à travers le monde le vecteur de la mission évangélique. Pour nous, à St. Esprit, malgré les difficultés passées et présentes, être une église francophone aux États-Unis est un don de l’Esprit. L’Esprit de Dieu nous donne en partage, de traduire et de faire découvrir aux francophones, aux anglophones, aux hispanophones, et à tous nos frères et sœurs du diocèse et du monde entier les « grandes œuvres de Dieu » qui surgissent quand nous nous rassemblons « tous ensemble au même endroit ». Notre retour en personnes sera sûrement l’occasion de voir ces dons renouvelés et sûrement d’en rendre grâces à Dieu !
Bien sûr, nous n’avons plus – que je sache – le don des langues comme les apôtres lors de la Pentecôte. Mais Dieu ne nous a pas abandonné pour autant. Il nous a donné dans l’Église de quoi recevoir cet esprit. Jongler entre plusieurs langues, surtout quand on les a apprises tard, est une véritable pratique spirituelle et, j’espère vous le montrer, le cœur même de la liturgie.
Vous avez tous fait l’expérience j’en suis sûr, de ne pas être compris, de devoir faire preuve de patience, d’écoute, d’application redoublée quand vous cherchez à dire ou comprendre quelque chose dans une langue étrangère. On ne peut pas apprendre et parler une langue étrangère sans être patient, écouter, tendre l’oreille, répéter… autant de disposition dans lesquelles la liturgie nous forme. Finalement, nos classes de français tous les dimanches ne sont pas essentiellement différentes de la Communion qui a lieu juste après. Se trouver entre plusieurs langues est au cœur de l’écriture et de notre lecture de la Bible, de l’expérience de la prophétie et de la liturgie.
Avant de nous rendre service, apprendre une langue étrangère nous rend disponible aux autres et au tout autre. Contrairement à la façon dont on imagine souvent les prophètes, la prophétie demande beaucoup d’humilité. J’ai fort à parier aussi que les professeurs dont vous gardez les meilleurs souvenirs étaient les plus à l’écoute et les plus humbles ! Un prophète, comme Ezéchiel, ne vit jamais pour lui-même. Ezéchiel vit à travers l’Esprit de Dieu et pour le peuple d’Israël pour lequel il intercède. Prophétiser ce n’est pas affirmer et imposer sa vérité plus excellement discernée, c’est laisser parler en soi une autre parole. C’est apprendre la langue de Dieu. Nos classes de français sont aussi une façon pour notre église de s’oublier. Grâce à nos étudiants et étudiantes d’horizons et de confessions divers, nous sommes invités en tant que communauté chrétienne à apprendre nous aussi de nouvelles langues. Bien que nous soyons sous le vocable du Saint-Esprit nous n’avons pas le monopole !
Ce jour de Pentecôte qui est pour nous à St Esprit, notre fête de dédicace, nous rappelle cette réalité importante qui paraît pourtant si anodine. En recevant l’Esprit à travers la prière, la prophétie, l’oubli de soi, le Père et le Fils nous font entrer dans le Royaume de Dieu, où règne l’amour et où nous nous comprenons comme il nous comprend.
Via la méditation de la Parole de Dieu, la contemplation de la création, la vie fraternelle et la participation à la liturgie, l’Esprit nous forme à parler sa langue, compréhensible par tous, sans tonnerre ni trompettes. Dieu nous forme dans ce monde à écouter et apprendre une langue étrangère, à la parler ensemble par-delà les barrières des races, des nationalités, des confessions, des langues humaines et même de la mort elle-même. L’apprentissage des langues de ce monde, avec toutes les difficultés et les joies qu’elles recèlent, toutes les nouvelles rencontres qu’elles rendent possibles, les communions nouvelles et surprenantes qu’elles permettent, figurent toutes les manifestations de l’Esprit. Cet Esprit qui rend partout Dieu sensible (et audible !) aux humains. Exilés sur la terre, vos voix ont déjà fait éclore sur la terre cette langue ancienne que l’Esprit nous apprend comme toujours de nouveau :
Doigt de Dieu, Promesse du Père,
Qui fait résonner sur la terre,
La sublime langue des cieux
JFAB
Sunday of Pentecost
Ezechiel 37:1-14 ; Acts 2:1-21 ; John 15:26-27; 16:4b-15
When I’m preparing a sermon for St. Spirit, I read our three Sunday readings in English and French. If I feel the need, I then turn to the original languages of Hebrew or Greek to explore if the text contains a phrase or pun that I think is important. I usually discover that there are several meanings that the translation doesn’t render. During my little walk through the texts, God always speaks to me in a new way; in a text that I had already read several times, he reveals to me a new little flower to which I hadn’t paid attention. It is often around this little flower that all this bouquet of a sermon is organized.
The fact that I go through all these languages before writing the sermon isn’t due to vain flirtation. It’s not because the Episcopal Church prides itself on being inclusive and multicultural. Inclusiveness and multiculturalism are also the prerogative of empires. It’s not because we want to show off our diversity and inclusiveness. We can never be inclusive to the point of representing the beautiful, rich and varied totality of the divine creation.
There is a sort of curse behind the diversity of the world’s languages. Of course, we think of the story of the Tower of Babel, but there is another curse, similar to the one behind the text of the Acts of the Apostles: the scattering of the Jewish people throughout the world and their divisions. Indeed, if there are so many languages and peoples mentioned in the account of Acts; Parthians, Medes, Elamites, Judeans, Romans, Galileans and Arabs, it is because the Jews had to go into exile on several occasions because of foreign invasions and their sins. Being in the minority in the countries where they settled, they learned the languages. Likewise, the fact that we speak several languages today is the consequence of sin or disasters, such as colonialism or the imposition of a State or a hegemonic language. We have used French in our liturgy since 1628 in one way or another (just like the Jews who came to Jerusalem for Pentecost), because we have been exiles and pilgrims in this land.
Yet on the day of Pentecost, God transforms this misfortune into a blessing that shows us not only his love but also the way in which he wants us to participate in his Kingdom. Through the gift of tongues to the disciples, the Spirit doesn’t impose a single language on everyone nor does she come at the end to bless our own efforts to be multicultural. But the Spirit borrows everyone’s voice in order to come to meet us and gather us. On the day of Pentecost, God turned the misfortune of the scattering of the Jews throughout the world into the vector of the evangelical mission. For us at St. Esprit, despite the past and current difficulties it entails, being a French-speaking church in the United States is also a gift. God gives us to share, to translate and to reveal to French-speaking, English-speaking and Spanish-speaking people in the diocese and around the world the “great works” of his Kingdom which come about when we meet “all together in one place”. Our return in person will surely be an opportunity to realize these renewed gifts and give thanks to God for them!
Of course, we no longer have – at least that I know of – the gift of tongues like the apostles at Pentecost. But that doesn’t mean God has abandoned us. In the Church, He’s given us a way to receive that spirit. Juggling between several languages, especially when they’re learned late, is a true spiritual practice and at the very heart of the liturgy, as I hope to show you.
I’m sure you have all had the experience of not being understood, of having to be patient, attentive and diligent when trying to say or understand something in a foreign language. We cannot learn and speak a foreign language without being patient, listening, lending an ear, repeating … the very same way in which the liturgy forms us. Finally, our French classes every Sunday are not essentially different from the Communion which takes place immediately afterwards. Being between several languages is at the heart of the writing and our reading of the Bible, of the experience of prophecy and of the liturgy.
Before really helping us, learning a foreign language makes us available to others and to everyone else. Contrary to how prophets are often imagined, prophecy takes a great deal of humility. I would also hazard a bet that the teachers you remember best were the ones who were most attentive and most humble. A prophet, like Ezekiel, never lives for himself. Ezekiel lives through the Spirit of God and for the people of Israel for whom he intercedes. To prophesy is not to affirm and impose our more excellently perceived truth, it is to let another word speak through us; the language of God. Our French classes are also a way for our church to forget about itself. Thanks to our students of diverse backgrounds and faiths, we are invited as a Christian community to learn new languages too. Although our church is named after the Holy Spirit, we don’t have a monopoly!
The day of Pentecost – which our feast of dedication at St. Esprit – reminds us of this important reality which nevertheless seems so trivial. By receiving the Spirit through prayer, prophecy and self-forgetting, the Father and the Son bring us into the Kingdom of God; where love reigns and where we understand each other as he understands us. Through meditation on the Word of God, contemplation of creation and participation in the liturgy, the Spirit trains us to speak his language, understandable by all, without making a great song and dance about it. In this world, God trains us to listen and learn a foreign language, to speak it together across the barriers of race, nationality, faith, human language and even death itself. Learning the languages of this world, with all the difficulties and joys that they contain, all the new encounters that they make possible, the new and surprising communions that they bring about; these are all manifestations of the Spirit. This Spirit who makes God everywhere perceptible (and audible!) to humans. As exiles here on earth, your voices have already brought to flower the ancient language which the Spirit teaches us anew:
Finger of God, Promise of the Father,
That resonates on the earth,
The sublime language of heaven!
JFAB